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LETTRE DE WHITEFIELD À WESLEY SUR LA DOCTRINE DE L'ÉLECTION


Mais lorsque Pierre est venu à Antioche, je me suis ouvertement opposé à lui, parce qu’il était condamnable. Galates 2.11


INTRODUCTION


Révérend et très cher frère,


Seul Dieu connaît le chagrin que j’ai dans mon cœur à votre sujet depuis que j’ai quitté l’Angleterre dernièrement. Que cela soit dû à ma propre faiblesse ou non, j’avoue franchement que Jonas n’aurait pas pu se rendre à Ninive avec plus de répugnance que je ne prends aujourd’hui la plume pour vous contredire. Si je laissais parler ma propre nature, mourir me semblerait moins difficile. Pourtant, pour être fidèle à Dieu, à ma propre âme et à celle des autres, je ne peux plus rester neutre. Je redoute fort que nos adversaires communs ne se réjouissent de notre divergence d’opinion. Mais que dire ? Les enfants de Dieu risquent de tomber dans l’erreur ! Que dis-je, des milliers d’entre eux ont été égarés, parmi ceux qu’il avait plu à Dieu d’atteindre par mon ministère, et plus nombreux encore sont ceux qui m’interpellent vivement pour que je clarifiema position. Il m’incombe donc de montrer que je ne connais personne selon la chair et ne fais acception de personne, dans la mesure où il y va de mon devoir envers mon Seigneur et Maître, Jésus-Christ.


À n’en pas douter, cette lettre me vaudra de perdre bien des amis ; peut-être même est-ce pour cette raison que le Seigneur me confie cette tâche difficile, pour voir si je consens ou non à renoncer à tout pour lui. Voilà pourquoi je crois devoir apporter mon humble témoignage, en plaidant du fond du cœur pour ces vérités qui, j’en suis convaincu, sont clairement révélées par la Parole de Dieu. Pour les défendre je dois m’exprimer en toute clarté, m’adressant à mes amis terrestres les plus chers en toute simplicité, en toute fidélité et en toute liberté, abandonnant à Dieu toutes les conséquences de ma démarche.


Depuis quelque temps déjà, surtout depuis que j’ai quitté l’Angleterre dernièrement, vous propagez la doctrine de la rédemption universelle en public comme en privé, par vos prédications et par vos écrits. Quand je considère la manière dont Paul a repris Pierre à cause de sa dissimulation (Galates 2.11), je crains d’avoir péché en gardant trop longtemps le silence. Je vous en prie, cher et honoré Monsieur, ne vous irritez pas contre moi si maintenant je décharge le fardeau de mon coeur en vous disant qu’à mon avis vous commettez une grave erreur.


Je n’ai pas l’intention d’engager un long débat sur les décrets divins. Je vous prie de consulter l’ouvrage Veritas Redux du pasteur Edwards. Je le crois irréfutable, sauf en ce qui concerne son « moyen terme » entre élus et réprouvés ; mais Monsieur Edwards a lui-même répudié ce « moyen terme » par la suite.


Sur votre sermon intitulé La libre grâce, je ne ferai que quelques remarques.

Avant d’aborder le sermon proprement dit, permettez-moi de m’arrêter brièvement sur ce que dans votre préface vous dites être obligé de déclarer au monde entier. Comme vous le savez, il s’agit des faits suivants : au cours de votre séjour à Bristol, vous avez, si je ne me trompe, reçu une lettre de quelqu’un qui vous accusait de ne pas prêcher l’Évangile, puisque vous ne prêchiez pas l’élection. Vous avez alors procédé à un tirage au sort et obtenu comme réponse : « Prêche et publie par écrit. » Je me suis souvent demandé, et me demande encore si en tirant au sort vous n’avez pas tenté le Seigneur. L’exercice de la prudence spirituelle, sans le moindre tirage au sort, vous aurait montré la voie à suivre. D’autre part, je n’ai jamais entendu dire que vous ayez demandé à Dieu si l’élection était une doctrine conforme à l’Évangile ou non. Je crains, puisque pour vous il allait de soi qu’elle ne l’était pas, que vous ayez seulement demandé si vous deviez vous taire, ou bien prêcher contre l’élection et publier vos prédications. Comme je vous en avais prié, vous vous êtes abstenu de publier ce sermon tant que j’étais en Angleterre, mais vous l’avez largement diffusé après mon départ. Si seulement vous l’aviez gardé pour vous ! Cependant, puisque vous avez publié ce sermon suite à un tirage au sort, je ne serais pas étonné si l’une des raisons pour lesquelles Dieu a permis que vous soyez ainsi séduit était de m’imposer un devoir particulier : à savoir de déclarer fidèlement la doctrine de l’élection selon les Écritures, pour que le Seigneur me donne une nouvelle occasion de discerner l’état de mon propre cœur, pour déterminer si je serais ou non fidèle à sa cause. Vous ne pouvez que reconnaître qu’il a déjà agi ainsi, en permettant que vous fassiez un autre tirage au sort à Deal. Le matin où je me suis embarqué à Deal pour Gibraltar (le 1er février 1738) vous arriviez de Géorgie. Au lieu de m’accorder une occasion de converser avec vous, quoique mon bateau fût encore tout près du quai, vous avez procédé à un tirage au sort et vous vous êtes hâté de partir pour Londres. Vous avez laissé une lettre contenant, en substance, les paroles suivantes : « Voyant que par le même vent qui vous emmenait, Dieu m’avait fait accoster, je lui ai demandé conseil. Vous trouverez sa réponse ci-jointe. » Il s’agissait d’un papier portant ces mots : ‘Qu’il revienne à Londres.’


Votre envoi m’a quelque peu étonné. Voilà qu’un homme de bien me disait qu’il avait tiré au sort et trouvé que Dieu voulait que je revienne à Londres. D’autre part, je me savais appelé en Géorgie ; j’avais fait mes adieux à Londres, et ne pouvais, en conscience, quitter les soldats dont on m’avait confié la charge. Avec un de mes amis, je me suis mis en prière. Le chapitre 13 du premier Livre des Rois s’est imposé avec force à mon esprit. On y lit que le prophète tué par un lion s’était laissé persuader, prétendument sur l’ordre de Dieu, de revenir sur la parole donnée par un autre prophète. Je vous ai alors écrit qu’il m’était impossible de retourner à Londres, et mon bateau a fait voile immédiatement. Quelques mois plus tard, j’ai reçu en Géorgie une lettre dans laquelle vous écriviez : « Quoique Dieu ne m’ait encore jamais laissé tirer un sort trompeur, peut-être a-t-il permis que ce fût le cas cette fois, afin d’éprouver ce que vous aviez dans le cœur. » Jamais je n’aurais parlé publiquement de ce tirage au sort fait en privé, si ce n’était que la gloire de Dieu l’exige. Le résultat de votre tirage était manifestement trompeur ; et ce n’est pas étonnant, car en y procédant, vous aviez tenté Dieu. Je suis convaincu qu’il en va de même dans le cas présent. Si cela est vrai, que les enfants de Dieu, vos amis intimes et aussi ceux des miens qui croient à la rédemption universelle, ne prennent pas cette doctrine pour la vérité, du fait que vous l’avez prêchée ouvertement suite à un tirage au sort prétendument dirigé par Dieu !


Je pense avoir maintenant répondu à la partie de la préface de votre sermon dans laquelle vous affirmez : « la plus forte des convictions que cet écrit contient la vérité selon Jésus me crée une stricte obligation de la proclamer au monde entier. » Je n’en doute pas un seul instant : vous croyez avoir écrit la vérité, et avez en l’écrivant sincèrement cherché à glorifier Dieu. Mais alors, mon cher ami, je ne peux m’empêcher de penser que vous vous êtes gravement trompé en pensant que ce tirage au sort qui tentait Dieu vous mettait sous une « stricte obligation » quelconque, surtout celle de publier votre sermon contre la doctrine de la prédestination à la vie.


Il me faut ajouter ceci : de même que vous avez eu tort de publier ce sermon suite à une approbation imaginaire, de même le choix de votre texte est regrettable. Mon cher ami, comment en êtes-vous arrivé à croire que vous pouviez réfuter la doctrine de l’élection à partir de Romains 8, chapitre qui affirme cette doctrine avec tant de clarté ? Un jour je discutais de cette question avec un Quaker ; celui-ci n’a réussi à se dérober à la puissante affirmation de l’apôtre qu’en s’écriant : « Je crois que Paul s’est trompé ! » Plus récemment, un autre ami qui jadis rejetait vigoureusement l’élection, a confessé franchement : « Je pensais alors que St. Paul lui-même avait fait erreur, ou bien qu’on l’avait mal traduit. »


En vérité, cher ami, nul ne peut le contester : dans tout le chapitre 8 de Romains, St. Paul ne parle que des privilèges de ceux qui sont véritablement en Christ. Faites lire à un lecteur impartial ce qui précède et ce qui suit votre texte, et il sera obligé de reconnaître que le mot « tous » ne désigne que tous ceux qui sont en Christ ; et la dernière partie du passage prouve clairement ce que mon cher Monsieur Wesley refuse tout net de reconnaître : je veux parler de la persévérance ultime des enfants de Dieu. « Celui qui n’a pas épargné non propre Fils, mais l’a livré pour nous tous [c'est-à-dire pour tous les saints] comment ne lui donnera-t-il pas toutes choses avec lui ? » (Rom. 8.32). En particulier, il nous donnera la grâce qui nous rendra capables de persévérer, avec tout ce qui est nécessaire pour nous amener à bon port dans le Royaume céleste de notre Père.


Pour qui voudrait prouver la doctrine de l’élection ainsi que celle de la persévérance finale, il n’existe pas de texte plus adéquat que celui que vous avez choisi pour réfuter ces doctrines ! Un lecteur qui ne vous connaît pas croirait que vous comprenez cela, car après le premier paragraphe je ne sais si vous en avez fait état une seule fois dans tout votre sermon.


À mon avis, votre discours est aussi peu pertinent pour réfuter ces doctrines que l’est le texte que vous aviez choisi ; loin de me faire changer d’opinion, il ne fait qu’affermir davantage ma conviction de l’élection éternelle de Dieu.


Je m’abstiendrai d’examiner l’illogisme de votre démarche. Pour écrire avec clarté, cher ami, il aurait fallu commencer par prouver la véracité de votre déclaration : « Dieu accorde gratuitement la grâce à tous » ; avant d’en déduire votre protestation contre ce que vous appelez l’horrible décret. Vous saviez toutefois que les gens ont généralement un préjugé contre la doctrine de la réprobation (car ces derniers temps l’Arminianisme (1) s’est tellement répandu parmi nous) et vous avez cru qu’en nourrissant leur aversion pour cette doctrine, vous arriveriez à renverser complètement celle de l’élection. En effet, une chose est certaine : les doctrines de l’élection et de la réprobation (2) ne peuvent que tenir debout ensemble, ou tomber ensemble.


Passons toutefois sur cette question, comme sur votre définition ambiguë du mot « grâce », et votre fausse définition du mot « libre ». Pour ne pas m’étendre indûment, je reconnais franchement que je crois à la doctrine de la réprobation. Dans cette perspective Dieu a l’intention d’accorder par Jésus-Christ la grâce salvatrice à un certain nombre seulement, en permettant en toute justice au reste de l’humanité de continuer dans son péché, en raison de la chute d’Adam. Cette partie-là de l’humanité souffrira la mort éternelle qui est sa juste rétribution (Romains 6.23).


Voilà la doctrine clairement établie par l’Écriture, et qui apparaît telle quelle dans le dix- septième Article de l’Église d’Angleterre (3), telle que l’évêque Burnet (4) lui-même la proclame. Cependant notre cher Monsieur Wesley la nie catégoriquement !


Les principales objections que vous avez opposées à cette doctrine pour la rejeter, si on les examine sérieusement à la lumière fidèle de la Parole de Dieu, s’avéreront sans force aucune. Examinons cette question humblement et calmement, sur les points suivants.



1. TOUTE PRÉDICATION EST-ELLE VAINE OU INUTILE POUR LES ÉLUS ?


Vous commencez en disant : « S’il en est ainsi, [s’il y a élection divine], toute prédication est vaine. Elle est inutile pour ceux qui sont élus, car avec ou sans prédication, ils seront infailliblement sauvés. Il est donc vain, en ce qui les concerne, de prêcher pour sauver des âmes. Il est également inutile de prêcher à ceux qui ne sont pas élus, parce qu’en aucun cas ils ne peuvent être sauvés : avec ou sans prédication, ils seront infailliblement damnés. En ce qui les concerne, notre prédication est tout aussi vaine. Dans l’un et l’autre cas, nous prêchons en vain, et vous écoutez en vain » (page 10, paragraphe 9).


Ô cher ami, qu’est-ce donc que ce raisonnement, ou plutôt ce sophisme (5) ? Dieu, qui a ordonné le salut pour un certain nombre, n’a-t-il pas aussi ordonné la prédication pour les y amener ? Y a-t-il quelqu’un qui comprenne l’élection d’une autre manière ? Si oui, comment la prédication peut-elle être inutile pour les élus, puisque Dieu lui-même appelle l’Évangile la puissance de Dieu pour leur salut éternel ? Comme nous ne savons pas qui est élu et qui est réprouvé (6), nous devons prêcher à tous sans distinction. En effet, la Parole peut être utile même aux non élus, en limitant grandement leur méchanceté et leur péché. Cependant, la seule pensée que par ce moyen tous ceux que le Seigneur a destinés à la vie éternelle sont immanquablement vivifiés et rendus capables de croire suscite un zèle ardent chez le prédicateur comme chez l’auditeur. Qui sait ? Ne se peut-il pas que celui qui écoute avec attention et respect fasse partie de ce groupe béni ?



2. CETTE DOCTRINE DÉTRUIT-ELLE LA SAINTETÉ ET LES COMMANDEMENTS DE DIEU ?


Deuxièmement, vous dites que les doctrines de l’élection et de la réprobation « tendent à détruire cette sainteté qui est le but de tous les commandements de Dieu. » En effet, dit (à tort) notre cher Monsieur Wesley, « elles détruisent les motifs de la rechercher, si souvent évoqués dans les Écritures. L’espérance d’une récompense future, la crainte du châtiment, l’espérance du ciel, et la crainte de l’enfer, etc. »


Je pensais qu’un homme qui a une aussi haute idée de la perfection que notre cher Monsieur Wesley saurait que celui qui aime véritablement le Seigneur Jésus-Christ s’efforcera d’être saint pour l’amour de la sainteté, et qu’il œuvrera pour Christ par amour et gratitude, sans se préoccuper des récompenses célestes ni de la crainte de l’enfer. Souvenez-vous, cher Monsieur, des paroles de Scougal (7) : « L’amour est pour eux un motif plus puissant. » Cependant, puisque les récompenses et les châtiments peuvent effectivement pousser un chrétien à agir sincèrement pour Dieu, comment la doctrine de l’élection pourrait-elle détruire ces motifs-là ? Les élus ne savent-ils pas que plus ils accomplissent d’œuvres bonnes, plus leur récompense sera grande ? N’y a-t-il pas là un encouragement suffisant pour s’engager dans l’œuvre de Jésus-Christ et y persévérer ? Et comment la doctrine de l’élection pourrait-elle détruire la sainteté ? Qui donc a jamais annoncé une élection autre que celle que prêcha l’apôtre Paul quand il parle de ceux qui sont élus par la sanctification de l’Esprit (2 Thessaloniciens 2.13) ? Non, tous ceux qui prêchent la sainteté n’en font-ils pas une marque de notre élection ? Comment la doctrine de l’élection pourrait-elle donc détruire la sainteté ?


Mon cher ami, pour illustrer votre affirmation vous avez choisi un exemple inapproprié. Vous dites : « Pour un malade qui doit inévitablement mourir ou inévitablement guérir mais ne sait ce qu’il en sera, il serait déraisonnable de prendre le moindre remède. » Mon cher ami, qu’est-ce donc que ce raisonnement absurde ? Avez-vous jamais été malade ? Dans ce cas, est-ce que la seule probabilité ou possibilité de guérir, alors que vous saviez que forcément vous alliez soit vivre, soit mourir, ne vous poussait pas à prendre un remède ? En effet, comment savoir si ce remède n’était justement pas le moyen par lequel Dieu voulait vous rétablir ? Il en va de même pour la doctrine de l’élection. Nous pouvons dire : je le sais, il est assurément établi que je dois être ou bien damné, ou bien sauvé ; mais puisque je ne sais pas avec certitude ce qui arrivera, pourquoi ne pas lutter et rechercher le salut, bien que pour l’instant je sois encore en état de nature (8) ? Qui sait, peut-être cette lutte est-elle le moyen que Dieu veut bénir pour m’amener à l’état de grâce ? Cher Monsieur, veuillez réfléchir à cette question. Faites-en une application impartiale, et vous verrez combien il était déraisonnable de conclure votre douzième paragraphe, page douze, par la phrase suivante : « Cette doctrine a pour effet immédiat de fermer la porte à la sainteté de façon générale, et d’en interdire tout accès aux pécheurs, de s’opposer au moindre effort qu’ils feraient pour y entrer. »


« De même, dites-vous, cette doctrine tend à détruire plusieurs aspects particuliers de la sainteté, par exemple l’humilité et l’amour, etc. » Cher Monsieur, ma réponse à ce paragraphe sera brève. Peut-être le cher Monsieur Wesley a-t-il débattu avec certains esprits étroits et irascibles, partisans de l’élection, et peut-être en a-t-il conclu que leur irritabilité et leur étroitesse d’esprit étaient dues à leurs principes. Mais le cher Monsieur Wesley ne connaît-il pas aussi de nombreux enfants du Seigneur qui sont partisans de la prédestination tout en étant humbles, modestes, compatissants, courtois, aimables et tendres de cœur, pleins de bonté envers tous, espérant la conversion des hommes les plus vils et les plus débauchés ? Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu’ils savent que Dieu les a eux-mêmes sauvés, élus dans son amour, et peut bien avoir aussi élu des personnes parmi les plus viles. Cher Monsieur, nous ne devons pas juger de la véracité d’un principe en général, ni de l’élection en particulier, d’après la conduite de certains professants. S’il en était ainsi, on pourrait trouver beaucoup à redire au sujet de ceux de votre camp. J’en appelle à votre propre cœur ; n’avez-vous jamais trouvé en vous-même ou observé en d’autres, une étroitesse d’esprit ou quelque faille de l’âme parmi ceux qui professent la rédemption universelle ? Si cela est vrai, d’après la règle que vous avez établie la rédemption universelle est une erreur, parce qu’elle détruirait plusieurs aspects de la sainteté, comme l’humilité, l’amour, etc. Pour ne pas insister indûment sur ce point, je vous prie de remarquer la force de l’argument apostolique dans Colossiens 3.12-13 qui contrecarre votre conclusion : « Revêtez donc, comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés, des sentiments de compassion, d’humilité, de douceur, de patience. Supportez-vous les uns les autres, et si l’un a sujet de se plaindre de l’autre, pardonnez-vous réciproquement. De même que Christ vous a pardonné, pardonnez-vous aussi. » Nous voyons qu’ici l’apôtre exhorte les élus à être remplis de compassion, d’humilité, de douceur et de patience précisément parce qu’ils sont des élus de Dieu. Et tous ceux qui par expérience reçoivent cette doctrine dans le cœur sont convaincus que ces grâces sont d’authentiques effets de leur élection par Dieu.


Mais le cher Monsieur Wesley peut s’être trompé sur ce point, et appeler passion ce qui n’est que zèle pour des vérités divines. Vous le savez, cher Monsieur, l’apôtre nous enjoint de « combattre pour la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes » (Jude 3). Vous ne devez donc pas condamner tous ceux qui défendent avec zèle la doctrine de l’élection, en les appelant étroits d’esprit, ou persécuteurs, simplement parce qu’ils croient devoir vous contredire. J’ai l’assurance que je vous aime de la tendresse de Jésus-Christ, et je crois être capable de donner ma vie pour vous. Pourtant, cher Monsieur, je ne peux m’empêcher de m’opposer vigoureusement à vos erreurs sur ce sujet capital, parce que je crois que sans en avoir l’intention, vous vous opposez avec force à la vérité qui est en Jésus. Puisse le Seigneur faire tomber de vos yeux spirituels les écailles de ce préjugé, et vous rendre zélé selon la véritable connaissance chrétienne !



3. CETTE DOCTRINE DÉTRUIT-ELLE LE RÉCONFORT ET LE BONHEUR ?


Troisièmement, votre sermon proclame que « cette doctrine tend à détruire le réconfort de la religion, le bonheur de la vie chrétienne, etc. »


La réalité de l’expérience


Mais comment Monsieur Wesley sait-il cela, lui qui n’a jamais cru à l’élection ? Je crois que ceux qui en ont fait l’expérience seront d’accord avec notre dix-septième Article :


« Les saintes méditations sur la prédestination et sur l’élection en Christ procurent aux personnes pieuses un réconfort indiciblement agréable et doux. Ces personnes éprouvent intérieurement l’action de l’Esprit de Christ, qui mortifie les œuvres charnelles ainsi que leurs membres terrestres, attirant leur esprit vers de hautes pensées célestes. Cette méditation affermit et confirme leur foi dans le salut éternel et la joie qu’il procure en Christ ; elle rend brûlant leur amour pour Dieu, etc. » (9)


Ce passage montre clairement que pour nos pieux réformateurs, l’élection ne détruisait ni la sainteté, ni le réconfort de la religion. En ce qui me concerne, cette doctrine me soutient quotidiennement. Je serais totalement écrasé par la crainte d’épreuves futures si je n’avais la ferme conviction que Dieu m’a choisi en Christ avant la fondation du monde ; et maintenant qu’il m’a adressé son appel efficace, il ne permettra à personne de m’arracher de sa main.


Le réconfort


Vous dites : « Une évidence, concernant tous ceux qui se croient réprouvés, ou qui soupçonnent ou craignent de l’être, est que toutes les grandes et précieuses promesses leur échappent. Elles ne leur apportent pas la moindre lueur de réconfort. »

Ma réponse à cette remarque est qu’aucun vivant, et surtout aucun de ceux qui aspirent au salut ne peut savoir qu’il est exclu du nombre des élus de Dieu. Seul un inconverti pourrait avoir quelque raison de redouter la réprobation. Le cher Monsieur Wesley n’apporterait-il pas alors du réconfort (ou bien oserait-il appliquer les précieuses promesses de l’Évangile, c'est-à-dire le pain des enfants) à des hommes dans leur état naturel, et qui persévèrent dans cet état ? À Dieu ne plaise ! Et si la doctrine de l’élection et de la réprobation crée le doute chez certains ? La doctrine de la régénération en fait autant. Mais ce doute n’est-il pas un bon moyen de les pousser à chercher et à lutter ? Cette lutte n’est-elle pas un bon moyen pour eux d’affermir leur vocation et leur élection ? C’est une des raisons, entre autres, pour lesquelles j’admire la doctrine de l’élection. Je suis persuadé qu’elle devrait avoir sa place dans la prédication de l’Évangile, et qu’on devrait fidèlement et soigneusement insister dessus. Elle est de nature à éveiller l’âme, à l’arracher à sa sécurité charnelle. Voilà pourquoi elle suscite l’indignation de beaucoup. La rédemption universelle, au contraire, retient malheureusement l’âme dans un état d’assoupissement et de léthargie, et c’est pourquoi tant d’hommes naturels l’admirent et l’acclament.


Les ténèbres et les doutes


Considérons à présent vos paragraphes treize, quatorze, et quinze. L’expérience montre, dites-vous, que cette doctrine nuit gravement au témoignage du Saint-Esprit. De quelle expérience s’agit-il, cher Monsieur ? Sûrement pas de la vôtre ; car dans votre Journal, depuis votre départ pour la Géorgie jusqu’à votre retour à Londres, vous semblez affirmer ne pas avoir connu cette expérience, et dans ce cas vous n’êtes pas compétent pour en juger. Vous parlez certainement de l’expérience d’autrui. Dans le même paragraphe, vous dites : « Même chez ceux qui ont goûté ce don désirable, puis l’ont rapidement perdu [je suppose que vous voulez dire ‘qui en ont perdu le sentiment’] et sont retombés dans les doutes, les craintes et les ténèbres, des ténèbres tangibles, etc. »


Ces ténèbres de la déréliction, Jésus-Christ lui-même ne les a-t-il pas connues, lui qui avait reçu sans mesure l’onction du Saint-Esprit ? Son âme n’était-elle pas triste à en mourir, au jardin de Gethsémané ? Ne fut-il pas cerné par d’horribles ténèbres, des ténèbres pour ainsi dire tangibles, quand sur la croix il s’est écrié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27.46). L’Écriture ne prouve-t-elle pas que tous ses disciples peuvent connaître des états semblables ? L’apôtre nous dit en effet : « Il a été rendu semblable en toutes choses à ses frères... car du fait qu’il a souffert lui-même et qu’il a été tenté, il peut secourir ceux qui sont tentés » (Hébreux 2. 17, 18). Les disciples ne peuvent-ils pas être éprouvés de la sorte, puisque les membres de Christ sont rendus conformes à lui dans ses souffrances ?


Si certaines personnes se retrouvent dans les ténèbres après avoir reçu le témoignage de l’Esprit, en quoi cela constitue-t-il un argument contre l’élection ? Vous écrivez : « Néanmoins, de par le monde, un très, très grand nombre de ceux qui ne croient pas à l’élection jouissent du témoignage constant de l’Esprit et de la lumière constante de la face de Dieu, depuis l’instant où ils ont cru, et tout au long des mois et des années, jusqu’à ce jour. » Mais comment le cher Monsieur Wesley sait-il cela ? A-t-il pris connaissance de ce qu’ont vécu un très, très grand nombre de personnes un peu partout sur la terre ? Et s’il pouvait vérifier ce qu’il avance là sans preuves suffisantes, s’ensuivrait-il que c’est parce qu’elles ne croient pas à l’élection que ces personnes demeurent dans la lumière divine ? Pas du tout : selon la Confession de notre Église, cette doctrine « confirme et affermit puissamment la foi du vrai chrétien dans le salut éternel qu’il possède en Christ » ; elle est une ancre d’espérance stable et immuable s’il marche au travers des ténèbres sans voir la lumière, chose qui peut arriver, même après que ce chrétien ait reçu le témoignage de l’Esprit, même quand vous ou d’autres affirmez imprudemment le contraire. Regardant alors à l’alliance éternelle de Dieu, ce chrétien s’abandonnera à l’amour gratuit de ce Dieu qui l’a choisi et qui ne change pas ; il relèvera ses mains abattues et affermira ses genoux chancelants. Mais sans cette foi en l’élection et en l’immutabilité de l’amour gratuit de Dieu, je ne vois pas comment il pourrait jamais avoir l’assurance réconfortante du salut éternel.


À quoi servirait-il à un homme d’avoir la conscience pleinement éveillée, d’être sérieusement poussé à chercher à fuir la colère à venir, d’être assuré du pardon de tous ses péchés passés et d’être maintenant enfant de Dieu, si malgré tout cela il pouvait encore devenir un enfant du diable et au bout du compte, être précipité en enfer ? Cette conviction-là peut-elle procurer un réconfort ferme et durable à celui qui est conscient de la corruption et de la traîtrise de son propre cœur, et de la méchanceté, de la subtilité, de la puissance de Satan ? Mais non ! La seule pleine assurance de la foi, c’est celle qui enhardit le croyant, le convainc qu’il a part à cet amour divin qui l’a élu, et lui permet de défier tous ses adversaires, hommes ou démons, et leurs tentatives de destruction présentes ou futures. Avec l’apôtre, ils déclarent :

« Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? C’est Dieu qui les déclare justes ! Qui les condamnera ? Jésus-Christ est mort, bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu et il intercède pour nous ! Qui nous séparera de l’amour de Christ ? Serait-ce la détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger ou l’épée ? De fait, il est écrit : C’est à cause de lui qu’on nous met à mort à longueur de journée, qu’on nous considère comme des brebis destinées à la boucherie. Au contraire, dans tout cela nous sommes plus que vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. En effet, j’ai l’assurance que ni la vie, ni la mort, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 8.33-39).


Tel est, cher Monsieur, le cri de triomphe de toute âme parvenue à la pleine assurance de la foi. Cette assurance-là ne peut jaillir que de la foi en l’amour éternel de Dieu qui élit les siens. Beaucoup sont sûrs d’être en Christ aujourd’hui, mais ils ne se préoccupent pas, ou ne sont pas sûrs de l’être demain, ni pour toute l’éternité ; n’est-ce pas là une carence et un malheur, plutôtqu’un privilège ? Je prie Dieu de communiquer à tous ceux-là la conviction de son amour éternel, pour qu’ils cessent de bâtir sur leur propre fidélité et s’appuient sur l’immutabilité de ce Dieu dont l’appel et les dons sont sans repentance. Car ceux que Dieu a justifiés une fois pour toutes, il les glorifiera aussi (Romains 8.30).


J’ai fait remarquer plus haut, cher Monsieur, qu’il n’est pas toujours sage de juger de la véracité d’un principe d’après le comportement de ses adhérents. Aussi, à supposer que tous ceux qui professent comme vous la rédemption universelle jouissent, après avoir reçu la foi, de la lumière incessante de la face de Dieu, il ne s’ensuit pas que cette jouissance résulte de leur principe. Au contraire, la tendance naturelle de ce principe est de retenir constamment l’âme dans les ténèbres ; on fait croire à la créature que la permanence de l’état de salut est le fruit de son propre libre-arbitre. Cela ne revient-il pas, pour une pauvre créature, à bâtir son espoir de persévérance sur le sable ? (Matthieu 7.26-27). Le moindre glissement dans le péché, le moindre assaut de la tentation la jetteront « dans le doute, dans la crainte, dans d’horribles ténèbres pour ainsi dire tangibles ».


Voilà pourquoi les lettres que j’ai reçues dernièrement d’adeptes de la rédemption universelle sont mortes, sans vie, sèches et inconséquentes, comparées aux lettres que m’envoient ceux qui croient à l’élection. Les adeptes de la rédemption universelle, même s’ils commencent dans l’esprit, finissent, quoi qu’ils disent, dans la chair, construisant une justice fondée sur leur propre libre-arbitre ; les autres triomphent dans l’espérance de la gloire de Dieu, construisent sur la promesse infaillible de Dieu, sur son amour qui ne peut changer, même quand le sentiment de sa présence leur est retirée.


Cependant, je ne jugerais pas de la véracité de l’élection d’après l’expérience de tel ou tel chrétien particulier. Si je le faisais (supportez, je vous prie, que comme un insensé je me glorifie d’une certaine manière) je pense que je serais capable de me glorifier moi-même de l’élection. Voilà cinq ou six années que j’ai reçu le témoignage de l’Esprit de Dieu ; depuis lors, Dieu soit loué, je n’ai pas douté même un quart d’heure de ce que j’ai part au salut de Jésus-Christ. À ma honte, je confesse avec douleur que depuis lors je suis bien des fois tombé dans le péché. Jamais je n’oserais m’accorder le droit à une seule transgression, mais pas une seule de mes journées n’a été exempte de quelque faute, de quelque péché ; et je crois qu’il en sera ainsi tant que je serai de ce monde. Puisque l’Écriture déclare qu’il n’y a pas un seul juste sur terre, même parmi les hommes qui ont atteint le plus haut degré de la grâce, qu’il n’y en a pas un seul qui fasse le bien et ne pèche pas (Ecclésiaste 7.20), nous sommes sûrs qu’il en est ainsi de tous les enfants de Dieu.


L’expérience universelle et le témoignage de personnes pieuses tout au long des siècles suffisent largement à réfuter l’erreur de ceux qui croient fermement que quand nous sommes nés de nouveau, nous ne pouvons plus commettre de péché, d’autant plus que le Saint-Esprit condamne ceux qui disent n’avoir pas de péché, se trompant eux-mêmes, s’égarant loin de la vérité, et faisant de Dieu un menteur (1 Jean 1.8, 10). Diverses tentations m’ont bien des fois accablé, et je m’attends à ce que ce soit souvent le cas pendant le reste de mes jours. Il en fut ainsi pour les apôtres eux-mêmes et pour les premiers chrétiens. Ce fut le cas pour Martin Luther (1483-1546), cet homme de Dieu qui, à ma connaissance, ne défendait pas l’élection de façon catégorique. Legrand Johann Arndt (10) (1555-1621) passa par des moments d’extrême perplexité un quart d’heure seulement avant de mourir ; il ne croyait pourtant pas à la prédestination. Et pour parler franchement, je suis convaincu que votre lutte si âpre contre la doctrine de l’élection, et votre plaidoirie si véhémente en faveur de l’éradication totale du péché sont parmi les causes blâmables qui vous privent de la liberté de l’Évangile et de cette pleine assurance de foi dont jouissent ceux qui goûtent l’amour éternel de l’élection divine, et s’en nourrissent quotidiennement.


Peut-être direz-vous que ni Luther ni Arndt n’étaient chrétiens, ou alors qu’ils étaient des chrétiens bien faibles. Je sais que vous n’estimez guère Abraham, quoiqu’il ait reçu le titre éminent d’« ami de Dieu » ; pas plus que vous n’estimez David, cet homme « selon le cœur de Dieu ». Je ne suis donc pas étonné de lire dans une lettre récemment reçue de vous qu’à votre avis, aucun auteur baptiste ou presbytérien n’a goûté, si peu que ce soit, la liberté de Christ. Quoi ! Ni Bunyan (11), ni Matthew Henry (12), ni John Flavel (13), ni Halyburton (14), ni aucun des hommes de Dieu de Nouvelle-Angleterre et d’Écosse ? Considérez, cher Monsieur, l’étroitesse d’esprit et le manque de charité qui découlent de vos principes, et ne protestez donc pas si fort contre l’élection en affirmant qu’« elle détruit l’humilité et l’amour ».



4. DES MILLIERS, DES MILLIONS D’INNOCENTS SONT-ILS CONDAMNÉS AUX FLAMMES ÉTERNELLES ?


À présent j’aborderai un quatrième point. Le cher Monsieur Wesley s’écrie : « Combien il est pénible de penser que des milliers, des millions d’hommes qui n’ont jamais commis aucune offense, aucune faute, puissent être irrévocablement condamnés au feu éternel ! »


Qui a jamais dit que des milliers et des millions d’hommes exempts de toute offense ou de toute faute étaient irrévocablement condamnés au feu éternel ? Ceux qui croient que Dieu condamne des hommes au feu éternel ne croient-ils pas aussi que Dieu les tient pour des hommes déchus en Adam ? Ne croient-ils pas que le décret ordonnant le châtiment a d’abord pris en compte le crime qui le méritait ? Comment donc pourraient-ils être condamnés sans aucune faute préalable ? Monsieur Wesley reconnaîtra sûrement que Dieu s’est montré juste en imputant le péché d’Adam à toute la postérité de ce dernier ; et aussi, qu’après la chute d’Adam (et celle de sa postérité en lui, selon Romains 5 et 1 Corinthiens 15) Dieu aurait pu en toute justice abandonner toute l’humanité à cette condition, rien ne l’obligeant à envoyer son propre Fils pour sauver qui que ce soit. À moins de reconnaître de tout cœur ces deux vérités, vous ne croyez pas au péché originel comme il se doit. Si vous les reconnaissez, il vous faut admettre que la doctrine de l’élection et de la réprobation est parfaitement juste et raisonnable. En effet, si Dieu peut en toute justice imputer à tous les hommes le péché d’Adam, et les abandonner tous à leur ruine, alors il peut aussi, en toute justice, en abandonner quelques-uns. De quelque côté que vous vous tourniez, vous êtes enfermé dans un inextricable dilemme. Si vous voulez être conséquent, il vous faut ou bien abandonner la doctrine de l’imputation du péché d’Adam, ou bien accepter la bonne doctrine de l’élection, dont découle la sainte et juste réprobation. Que vous la croyiez ou non, la Parole de Dieu demeure vraie : « les élus l’ont obtenu, tandis que les autres ont été endurcis » (Romains 11.7).


Je passe sur votre dix-septième paragraphe en page 16. Mes remarques sur les paragraphes neuf et dix, à peine modifiées, suffiront pour y répondre. Je dirai seulement que c’est la doctrine de l’élection qui me presse d’abonder en œuvres bonnes. Je suis prêt à tout supporter pour l’amour des élus. Cette doctrine me réconforte aussi dans la prédication, parce que je sais que le salut ne dépend pas du libre-arbitre de l’homme ; mais c’est le Seigneur qui au jour de sa puissance amène l’homme à consentir. Dieu peut m’utiliser pour amener à lui quelques-uns de ses élus, où il voudra, quand il voudra.



5. LA DOCTRINE DE L’ÉLECTION DÉTRUIT-ELLE TOUTE LA RELIGION CHRÉTIENNE ?


Cinquièmement, vous dites : « De toute évidence, cette doctrine tend à renverser toute religion chrétienne, car si ce décret immuable et éternel était une réalité, une partie de l’humanité serait obligatoirement sauvée, même si la révélation chrétienne n’avait jamais existé. »


Le moyen, non la cause et son effet


Cher Monsieur, comment cela pourrait-il être ? C’est par la révélation chrétienne seulement que nous connaissons le plan de Dieu, qui sauve son Église par la mort de son Fils. Dans l’alliance éternelle il est établi que ce salut s’appliquera aux élus, par la connaissance de Christ et par la foi en lui. Comme dit le prophète, « par sa connaissance mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes » (Ésaïe 53.11). Comment la doctrine de l’élection pourrait-elle détruire la religion de Christ ? Qui a jamais cru que la promesse de Dieu à Noé, « tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson... ne cesseront point », rendait inutiles les labours et les semailles ? Ou bien, puisque Dieu a promis que les moissons ne cesseront point, que nous n’avons plus besoin de la chaleur du soleil ni de l’influence des autres corps célestes ? Le décret irrévocable par lequel le Seigneur sauve ses élus ne supprime ni la nécessité de la révélation évangélique, ni l’usage des moyens par lesquels Dieu veut accomplir son décret. Un chrétien qui reçoit avec droiture et respect les décrets divins ne permet jamais qu’on sépare les moyens d’avec la fin, ni la fin d’avec les moyens. La révélation elle-même nous enseigne que Dieu donne et désigne la prédication de l’Évangile comme moyen de rassembler ses élus : nous la recevons donc avec joie, l’estimons hautement, et la pratiquons avec foi pour répandre l’Évangile dans le monde entier, pleinement assurés que là où Dieu la fait retentir, tôt ou tard elle servira à sauver les élus qui l’entendent. Alors comment, en soutenant cette doctrine, apporterions-nous aujourd’hui de l’eau au moulin des incroyants, en niant que la révélation chrétienne soit nécessaire ? Non, cher Monsieur, vous faites erreur. Toutes sortes d’infidèles se rallient à votre camp. Les Déistes (15), les Ariens (16) et les Sociniens (17) mettent en cause la souveraineté de Dieu et affirment la rédemption universelle. Ce sermon de mon cher ami a attristé le cœur de bien des enfants de Dieu ; je prie le Seigneur qu’il ne serve pas d’arme à beaucoup de ses ennemis déclarés ! Car alors, je pourrais me jeter à terre et pleurer. « Ne l’annoncez point dans Gath, n’en publiez point la nouvelle dans les rues d’Askalon, de peur que les filles des Philistins ne se réjouissent, de peur que les filles des incirconcis ne triomphent » (2 Samuel 1.20).


Romains 9.13


Allant plus loin, vous dites : « L’élection met la révélation en contradiction avec elle- même. » Vous affirmez, par exemple : « les partisans de cette doctrine interprètent ainsi ce passage de l’Écriture : ‘J’ai aimé Jacob et j’ai haï Ésaü’ comme signifiant que Dieu, au sens littéral, a haï Ésaü et tous les réprouvés de toute éternité. » Considérés dans leur déchéance en Adam, n’étaient- ils pas les objets de sa haine ? Dieu ne peut-il pas, selon son bon plaisir, montrer de l’amour et de la miséricorde à Jacob et aux élus, sans pour autant faire le moindre tort aux réprouvés ? Vous dites : « Non, Dieu est amour. » Est-il obligé, pour l’être, de manifester à tous la même miséricorde ?


Romains 9.15


Le cher Monsieur Wesley dit encore, à propos de Romains 9.15, « Je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde et j’aurai compassion de qui j’ai compassion » : « Ils déduisent de ce passage que Dieu ne fait miséricorde qu’à certains, c'est-à-dire aux élus ; et il ne fait miséricorde qu’à eux, au mépris de l’ensemble de l’Écriture, qui déclare en particulier que « l’Éternel est bon envers tous, et ses compassions s’étendent sur toutes ses œuvres » (Psaume 145.9). Cela est vrai ; mais dans ce Psaume ce n’est pas de sa compassion salvatrice que l’Écriture parle. Dieu manifeste de l’amour à tous les hommes : il fait pleuvoir sur les méchants comme sur les bons. Or vous dites : « Dieu ne fait acception de personne. » Non, bien sûr, car tout homme, Juif ou non Juif, qui croit en Jésus et qui s’applique à la justice, est accepté par Dieu ; mais « celui qui ne croit pas est déjà condamné » (Jean 3.18). Dieu ne fait acception de personne en fonction de l’apparence extérieure, ou des circonstances de la vie quelles qu’elles soient ; la doctrine de l’élection ne dit pas le contraire. Mais en tant que souverain Seigneur de tous, il n’est le débiteur de personne, et il a le droit de disposer à son gré de ce qui lui appartient, de dispenser ses faveurs à qui il veut, uniquement selon son bon plaisir. Son droit d’agir ainsi est clairement et vigoureusement affirmé dans ce passage de l’Écriture, où il déclare : « Je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde et j’aurai compassion de qui j’ai compassion » (Romains 9.15, Exode 33.19).


À propos des versets : « car les enfants n’étaient pas encore nés et ils n’avaient fait ni bien ni mal (afin que le dessein d’élection de Dieu subsiste, sans dépendre des œuvres, et par la seule volonté de celui qui appelle), quand il fut dit à Rébecca : l’aîné sera assujetti au plus jeune », d’après vous, nous enseignons que la prédestination à la vie ne dépend en rien de la prescience de Dieu. Mais qui donc enseigne cela, cher Monsieur ? Si la prescience implique obligatoirement l’approbation, comme c’est le cas dans plusieurs passages des Écritures, alors nous reconnaissons que la prédestination et l’élection dépendent effectivement de la prescience divine. Mais si par prescience, vous entendez que Dieu a connu d’avance certaines œuvres bonnes accomplies par ses créatures, et qu’il fonde sur elles son élection, en ce sens-là, nous professons que la prédestination ne dépend nullement de la prescience de Dieu. Au commencement de cette lettre, je vous ai recommandé, comme je l’avais déjà fait dans une précédente lettre, l’ouvrage de Monsieur Edwards, Veritas Redux, en même temps que La souveraineté de Dieu d’Elisha Coles. Veuillez lire ces livres, ainsi que les excellents sermons de M. Cooper de Boston, que je vous ai envoyés, et je n’en doute point, vous y trouverez la réponse à toutes vos questions. J’ajouterai toutefois que même après avoir tout lu sur les deux côtés de la question, jamais au cours de cette vie nous ne sonderons parfaitement les décrets divins. Non, il nous faut humblement adorer ce que nous ne pouvons pas entièrement comprendre, nous écriant à la fin de toute notre recherche : « Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! » (Romains 11.33). Et avec notre Seigneur, qui donnait libre cours à son admiration de la souveraineté de Dieu, « Il en est ainsi, Père, parce que tel a été ton bon plaisir ! » (Matthieu 11.26).


Personne ne sera damné ?


Cependant, il peut être bon de remarquer à propos de passages tels que « le Seigneur, ne voulant pas qu’aucun périsse » (2 Pierre 3.9) et « je ne désire pas la mort de celui qui meurt », « ce que je désire, ce n’est pas que le méchant meure » (Ézéchiel 18.32 et 33.11) que si on les interprétait littéralement, au sens le plus strict, il faudrait en conclure que personne ne serait damné. Mais il faut faire une distinction. Dieu ne prend aucun plaisir à la mort des pécheurs, à leur mort en tant que telle. Mais il se plaît à magnifier sa justice en infligeant le châtiment que leurs iniquités méritent. Un juste juge ne prend pas plaisir à condamner un criminel, mais il peut en toute justice ordonner son exécution, afin que la loi et la justice suivent leur cours, même s’il a le pouvoir d’accorder un sursis au coupable.


Accuserons-nous Dieu ?


De plus, bien injustement, vous appelez blasphématoire la doctrine de la réprobation ; pourtant c’est la doctrine de la rédemption universelle, telle que vous la prêchez, qui déshonore au plus haut point la dignité du Fils de Dieu et la valeur de son sang. Réfléchissez bien : n’est-ce pas blasphémer que d’affirmer avec vous « Christ n’est pas mort seulement pour ceux qui sont sauvés, mais aussi pour ceux qui périssent » ? Le passage dont vous tirez abusivement cette conclusion, voyez comment Ridgely, Edwards et Henry l’expliquent. J’omets ici volontairement de répondre à vos citations erronées, pour vous inciter à lire leurs écrits, qui avec la bénédiction de Dieu vous montreront votre erreur. Si vous persistez à dire que « Christ est mort pour ceux qui périssent », il vous faut carrément professer, comme vient de le faire dans une lettre Pierre Boehler, frère Morave adepte de la rédemption universelle, qu’ « un jour toutes les âmes réprouvées sortiront de l’enfer ». Je ne peux pas croire que ce soit là votre opinion. Cependant, ou bien il en est effectivement ainsi, ou bien la doctrine de la rédemption universelle s’écroule complètement. Comment tous pourraient-ils être universellement rachetés, si tous ne sont pas finalement sauvés ?


La grâce gratuite – ou le libre-arbitre ?


Cher Monsieur, pour l’amour du Seigneur Jésus, voyez à quel point vous déshonorez Dieu en niant l’élection. Vous faites ainsi dépendre le salut non de la grâce entièrement libre de Dieu, mais du libre-arbitre de l’homme. S’il en était ainsi, il est hautement probable que Jésus-Christ n’aurait pas eu la satisfaction de voir le fruit de sa mort dans le salut d’une seule âme. Nous prêcherions alors en vain ; c’est en vain que nous inviterions les âmes à croire en Christ ; mais loué soit Dieu, Christ savait pour qui il donnait sa vie. Il existait entre le Père et le Fils un pacte éternel. Un certain nombre d’hommes avait été donné au Fils comme son trésor personnel, la récompense de son obéissance et de sa mort. C’est pour eux qu’il a prié (Jean 17) et non pour le monde. C’est pour eux, et pour eux seulement, qu’il intercède aujourd’hui, et leur salut satisfera pleinement son désir.


C’est également à dessein que je m’abstiens d’en écrire plus long sur les dernières pages de votre sermon. Si ce n’était que cet écrit porte votre nom, cher Monsieur, jamais ne n’aurais manqué de charité au point de croire que vous aviez pu être l’auteur de pareils sophismes. Vous commettez une pétition de principe en affirmant : « Dieu a déclaré qu’il veut sauver tous les hommes », c'est-à-dire chaque individu (vous reconnaissez toutefois, je suppose, que certains seront condamnés). Vous tenez pour certain (sans en avoir la preuve) que Dieu est injuste s’il abandonne un seul pécheur à lui-même, puis vous protestez contre cet « horrible décret ». Pourtant, comme je l’ai indiqué plus haut, en admettant la doctrine du péché originel, vous professez de croire que Dieu aurait pu, en toute justice, abandonner tous les pécheurs à leur condition naturelle.


Très cher Monsieur, je vous en prie, ne soyez pas offensé ! Pour l’amour de Christ, ne vous emportez pas ! Appliquez-vous à la lecture. Étudiez l’alliance de grâce. Renoncez à tout raisonnement charnel. Soyez un petit enfant, au lieu de mettre en gage votre salut, comme vous l’avez fait dernièrement dans un recueil de cantiques, si la doctrine de la rédemption universelle n’est pas véridique. Au lieu d’exhorter à la perfection absolue, comme vous le faites dans la préface de ce recueil, et de faire dépendre le salut de l’homme de son libre-arbitre, comme vous le faites dans votre sermon, vous composerez un hymne de louange à l’amour souverain dans l’élection divine. Vous avertirez les chrétiens pour qu’ils ne cherchent pas à tirer la perfection de leur propre cœur, et vous publierez un autre sermon, à l’opposé de celui-ci, que vous intitulerez « L’absolue liberté de la grâce ». Elle est libre, non parce qu’elle est à la disposition de tout un chacun, mais parce que Dieu peut la refuser ou l’accorder à qui il veut, quand il veut.


Tant que vous ne faites pas cela, je doute, cher Monsieur, que vous parveniez à bien vous connaître vous-même. Pour l’instant, je ne peux que vous blâmer de ce que vous reprochez au clergé de notre Église de ne pas respecter nos Articles, alors que vous-même, par vos principes, vous vous opposez carrément au neuvième, au dixième, et au dix-septième. Cher Monsieur, il ne devrait pas en être ainsi.


Dieu connaît mon cœur ; ce que j’ai dit plus haut, je le répète : c’est uniquement l’honneur de Christ qui m’a fait écrire cette lettre. Je vous aime et vous honore pour l’amour de son Nom, et quand je comparaîtrai en jugement, je vous remercierai devant les hommes et les anges pour tout ce que, par la grâce de Dieu, vous avez fait pour mon âme. Ce jour-là, j’en suis convaincu, mon cher Monsieur Wesley sera persuadé quant à l’élection et l’amour éternel. Je suis souvent rempli de joie à la pensée que je vous verrai jeter votre couronne aux pieds de l’Agneau, en quelque sorte saintement honteux de vous être opposé à la souveraineté divine comme vous l’avez fait.


Cependant j’espère que le Seigneur vous montrera ces choses avant que vous ne quittiez ce monde. Combien j’aspire à voir ce jour-là ! S’il plaisait au Seigneur d’utiliser pour cela cette lettre, cher et honoré Monsieur, cela remplirait de joie le cœur de


Votre affectionné, mais bien indigne frère et serviteur en Christ,

George Whitefield.

De Béthesda en Géorgie, le 24 Décembre 1740



CHAPEL LIBRARY - Floride

Traduction : Liliane Fleurian




1 - Arminianisme : le système théologique de Jacob Arminius (1560-1609), théologien hollandais, né à Oudewater aux Pays-Bas. Il rejetait la conception réformée de la souveraine prédestination de Dieu, enseignant que Dieu prédestinait les individus en fonction de sa pré-connaissance de leur acceptation ou de leur rejet de Christ au moyen de leur propre libre-arbitre.

2 - Réprobation : doctrine selon laquelle Dieu condamne en toute justice tous ceux qui enfreignent sa Loi et ne s'en repentent pas.

3 - Dix-septième Article de l’Église d’Angleterre : les Trente-neuf Articles sont la confession de foiIls furent adoptés en 1563 pour unifier la doctrine protestante de l’Église anglicane. Leur caractère général est évangélique et conservateur ; ils élèvent les doctrines de la grâce telles qu’elles furent formulées lors de la Réforme

4 - L’évêque et historien anglican Gilbert Burnet (1645-1715) fut un zélé défenseur des Trente-neuf articles, fermement opposé aux influences catholicisantes dans l'Église d'Angleterre.

5 - Sophisme : argument subtilement trompeur, convaincant en apparence seulement.

6 - Réprouvé : littéralement, « qui ne passe pas le test », donc, sans valeur, corrompu, rejetant Dieu et

rejeté par lui.

7 - Henry Scougal (1650-1678) Pasteur et théologien écossais, que Whitefield tenait en haute estime.

8 - ​« En état de nature » : non régénéré, non encore transformé par la grâce de Dieu

9 - Les Trente-neuf articles [c. à d. Confession de foi] de l’Église anglicane, article 17. 10

10 - Johann Arndt, pasteur et théologien luthérien allemand, connu pour sa fervente piété.24

11 - John Bunyan (1628-1688) Auteur du « Voyage du pèlerin » et de nombreux ouvrages spirituels, prédicateur anglais qui fut emprisonné pendant 14 ans à cause de l’Évangile.

12 - Matthew Henry (1662-1714) pasteur anglais, connu pour son célèbre Commentaire de la Bible.

13 - John Flavel (1627-1691) pasteur presbytérien et théologien anglais. 14 - James Halyburton (1518-1589) Réformateur écossais, défenseur de la foi protestante au 16e siècle.

15 - Pour les Déistes, Dieu aurait crée l’univers puis cessé de s’en occuper, l’abandonnant aux « lois

16 - Les Ariens, disciples d’Arius (256-336) nient la divinité de Christ et son existence éternelle avant l'incarnation

17 - Disciples du théologien italien Socinius (1539-1604), les Sociniens nient la divinité de Christ et le pardon des péchés par son sacrifice.

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