Michel Onfray se réclamant de la civilisation judéo-chrétienne : Vous croyez à une blague ? Je vous comprends, ce serait après tout assez facile de le croire. Onfray, c’est après tout l’auteur du Traité d’athéologie, pamphlet s’en prenant à la théologie chrétienne avec toute la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Onfray, c’est aussi Le Christianisme hédoniste, le deuxième volume de sa Contre-histoire de la philosophie, qui se résume à la conclusion que les artistes, scientifiques, ou philosophes chrétiens n’ont pu être cela qu’en dépit de leur foi, et non pas grâce à elle. Une partialité présupposée à l’encontre de la foi est la clé de cette œuvre. Alors Michel Onfray, s’identifiant à la judéo-chrétienté… vraiment ?
LA NOUVELLE CONSCIENCE DU PASSÉ
Oui, vraiment. Mais il faut bien nous entendre sur ce que cela veut dire. Onfray n’a pas d’abord en vue la théologie chrétienne, ou sa spiritualité, ni même la grâce divine qu’il n’a pas, et qu’il n’attend pas. Lorsque Onfray se réclame du judéo-christianisme, il voit devant lui les pierres de cette tradition spirituelle et éthique qui ont servi à la fondation de la société française – du moins celle qu’il considère « traditionnelle ». Onfray déplore la décadence de la civilisation française, une « douce France » quand même un peu fictive. Ce qui est intéressant dans son analyse, ce n’est pas tant l’image de la France que le philosophe donne, mais le diagnostic de son déclin. Oubli du passé et disparition de repères transcendants : voilà les deux grands facteurs de la désagrégation occidentale.
Le déracinement. Être arraché à son histoire, à son passé, est le premier grand signe d’une descente dans une nouvelle civilisation. Pour Onfray, « On ne peut pas faire ‘du passé table rase’ quand on y trouve tout le génie français. » Cependant, le manque de repère historique n’est pour lui quasiment limité qu’aux grandes figures de l’histoire française et il cache un rejet d’identité. En faisant ce lien entre passé et identité, Onfray nous ouvre malgré lui la voie d’une réponse apologétique.
En effet, le rejet de l’histoire, et le rejet de l’identité n’est pas nouveau. Le déclin d’une « civilisation » idéalisée n’est pas nouveau non plus, quoiqu’on en dise. Bien sûr ce manque de repère d’identité n’est pas nouveau. Il est simplement le fruit de la récente exigence postmoderne adressée à l’homme : construis-toi toi-même. Depuis plusieurs décennies, la philosophie nous dit que l’individu n’est rien d’autre que ce qu’il fera de lui-même. Il n’y a pas d’identité, il faut s’en construire une. Il n’y a pas de nature humaine, il faut constamment s’en inventer une. D’ailleurs le nietzschéen Onfray ne dit parfois rien de bien différent !
Mais qu’arrive-t-il lorsque nous ne ne pouvons pas, ou plus, nous construire nous-mêmes ? Lorsque nous sommes épuisés d’avoir essayé, lorsque nous avons vécu l’esclavage d’identité qui était autre que nous-mêmes ? Soit nous sommes irrémédiablement perdus dans un désert sans fin, soit nous devenons à jamais esclaves d’une image de nous-mêmes totalement illusoire !
TRANSCENDANCE ET IDENTITÉ
Le deuxième grand ingrédient du déclin occidental est le rejet de toute transcendance. Là aussi le philosophe nous étonne, lui qui de fait a rejeté toute transcendance, sans que cela ne le traumatise pour autant. Pour comprendre le regret Onfray-ien de la transcendance, il faut comprendre celle-ci comme une source d’autorité qui n’est pas soumise aux folies humaines, qu’elles soient sociales, politiques, ou philosophiques. C’est pour cela qu’il fustige les « déconstructeurs » de corps, d’autorité, d’histoire et autres grandes visions philosophiques. Sous le feu d’Onfray tombent des Michel Foucault, Jacques Derrida ou Judith Butler.
La grande tragédie pour Onfray, c’est l’effacement graduel de toute fondation qui permettrait de connaître son identité en se tournant vers le passé, et vivre pleinement dans un monde qui ne peut exister que par transcendance. Onfray dit:
« Nous sommes passés d’un monde de devoirs sans droits à un monde de droits sans devoirs. L’individu, monade solitaire sans portes ni fenêtres, erre sans points de repères: ni transcendance, ni sens du sacré, ni spiritualité, juste une étourdissante passion consumériste obsessionnelle. Cette absence de surmoi efface autrui qui n’existe plus que comme un atome lui aussi aveugle, tournant et tombant dans le vide. »
Affirmation tellement étrange ! Onfray ne réalise pas que la solution à son diagnostic n’est pas de reconstruire une civilisation, mais dans une transcendance qui peut nous guider. Le problème c’est que pour Onfray, il ne peut y avoir de transcendance que celle que l’homme trouve pour lui-même. Nous allons nommer cela tradition, philosophie, raison, ou science… mais la transcendance sera créée de mains d’homme. Et l’homme restera en prison. Si le diagnostic d’Onfray est intéressant… il n’offre aucune solution au drame que vit l’homme.
La seule transcendance qui répondra à la prison de l’homme c’est une transcendance personnelle, juste, bonne, généreuse, aimante, et pleine de compassion. La transcendance de la foi chrétienne ne se contente pas de promouvoir une histoire et des valeurs. Par l’oeuvre de l’Esprit, nous sommes participants de cette transcendance qu’est le Dieu trinitaire. Le Père nous unit à Christ par l’Esprit. Il crée, recrée, et réconforte. Dieu est tout pour nous, il fait tout pour nous, et demeure notre vie. C’est à travers lui, et grâce à une Parole ancrée dans l’histoire, dirigée vers le royaume, que nous pouvons trouver notre identité.
Michel Onfray regrette une civilisation qui s’effondre. Mais c’est hors d’Eden que nous avons été exilés, pas hors d’une civilisation. C’est le désir de l’Eden de Dieu qui nous conduit vers la plénitude radiante du royaume de Christ. Voilà ce que nous devons vivre et proclamer.
Yannick Imbert
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