Bouh ! C’est l’un des premiers mots que nous apprécions vraiment. Les enfants que nous étions aimaient surgir devant nos amis et crier « Bouh ! » Mais en même temps, nous avions peur du noir et des monstres sous notre lit. Nous étions à la fois fascinés et terrorisés par nos craintes. En grandissant, peu de choses ont changé : les adultes aiment les films d’horreur et les sensations fortes qui les confrontent à leurs pires craintes. Mais nous pensons aussi beaucoup trop à toutes les choses sombres et effroyables qui pourraient nous arriver : la manière dont nous pourrions perdre la vie, la santé ou des êtres chers, ou encore comment nous pourrions être rejetés. La peur est probablement l’émotion la plus forte que les humains peuvent ressentir. Mais c’est une émotion déroutante qui nous laisse perplexes.
Craindre ou ne pas craindre ?
Quand nous découvrons la Bible, nous nous trouvons devant une sorte de dilemme : la crainte est-elle une bonne ou une mauvaise chose ? Faut-il embrasser la crainte ou la fuir ? À de nombreuses reprises, les Écritures décrivent la crainte comme une mauvaise chose de laquelle Christ est venu nous libérer. L’apôtre Jean écrit : « La crainte n’est pas dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte ; car la En effet, le commandement le plus répété dans les Écritures est : « Ne crains pas ! »
Pourtant, à maintes reprises, les Écritures nous demandent de craindre. Et ce qui est peut-être le plus perturbant, c’est qu’elles nous invitent à craindre Dieu. Le verset qui nous vient le plus rapidement à l’esprit est Proverbes 9.10 : « Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de l’Éternel ; et la science des saints, c’est l’intelligence.» Jésus décrit le juge partial comme « un juge qui ne craignait point Dieu et qui n’avait d’égard pour personne » (Lu 18.2). Paul écrit : « Ayant donc de telles promesses, bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit, en achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu » (2 Co 7.1).
D’un autre côté, elle nous enseigne que nous devons craindre, et craindre Dieu, rien de moins. Cela pourrait nous décourager et nous pourrions souhaiter que cette « crainte de l’Éternel » ne soit pas aussi proéminente dans les Écritures. Nous avons assez de craintes comme cela, sans en rajouter, non merci. Et craindre Dieu semble tellement négatif, qu’on a l’impression que cela ne colle pas avec le Dieu d’amour et de grâce que nous découvrons dans l’Évangile. Pour quelles raisons un Dieu digne d’être aimé voudrait-il être craint ?
Mon but aujourd’hui est d’éclaircir cette confusion décourageante. Je veux que vous puissiez vous réjouir parce que l’Évangile nous libère de la crainte et paradoxalement, il nous demande en même temps de craindre. Il nous libère de nos craintes, celles qui nous handicapent, et à la place, il nous donne une crainte la plus délicieuse, joyeuse et merveilleuse qui soit. Et je voudrais aussi clarifier cette expression souvent considérée comme rebutante, « la crainte du Seigneur », afin de montrer à travers la Bible que pour les chrétiens, cela ne signifie pas avoir peur de Dieu.
En effet, les Écritures nous réservent de grosses surprises quand elles décrivent la crainte de Dieu qui est le commencement de la sagesse. Prenons juste un exemple pour le moment. Dans Ésaïe 11.1-3, nous trouvons une magnifique description du Messie, rempli de l’Esprit : Puis un rameau sortira du tronc d’Isaï, et un rejeton naîtra de ses racines. L’Esprit de l’Éternel reposera sur lui : Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte de l’Éternel. Il respirera la crainte de l’Éternel.
Ces deux dernières affirmations devraient nous pousser à nous poser des questions sur ce qu’est la crainte du Seigneur. Ici, nous voyons que la crainte du Seigneur n’est pas une chose dont le Messie cherche à se débarrasser. Même lui, dans sa sainteté, sa perfection, son absence de péché, il craint le Seigneur sans réticences. Ce n’est pas qu’il aime Dieu et qu’il trouve sa joie en Dieu, mais qu’il considère que (malheureusement) pour accomplir tout ce qui est juste et droit, il doit également craindre Dieu. Bien au contraire, l’Esprit qui repose sur lui est l’Esprit de crainte de l’Éternel et il prend plaisir dans la crainte de l’Éternel. Il ne peut donc pas s’agir de quelque chose de négatif ou d’une obligation morose.
Une culture de crainte
Avant de plonger dans la bonne nouvelle que la Bible a au sujet de nos craintes et de la crainte du Seigneur, il vaut la peine de remarquer à quel point notre culture est devenue anxieuse. Considérer où en est notre société aujourd’hui pourrait nous aider à comprendre pourquoi nous avons un problème avec la crainte, et pourquoi la crainte de l’Éternel est exactement le tonifiant dont nous avons besoin.
De nos jours, il me semble que le monde entier parle d’une culture de crainte. Sur les réseaux sociaux ou à la télévision, on s’inquiète au sujet du terrorisme mondial, des catastrophes climatiques, des pandémies et de l’agitation politique. Nos routines quotidiennes et personnelles contiennent toujours plus de sources d’anxiété. Prenez par exemple notre alimentation. Si vous optez pour le menu le plus gras, vous allez tout droit vers la crise cardiaque. Pourtant, vous apprenez que les dernières études ont permis de découvrir que l’alternative faible en calories est finalement elle aussi cancérigène ou néfaste d’une autre manière. Et c’est ainsi que dès le petit déjeuner, une petite crainte nous assaille. Ou alors, pensez à la paranoïa qui règne dans l’univers de la parentalité aujourd’hui. La crainte justifiée, mais exagérée, du kidnappeur qui rôde sur les réseaux sociaux ou devant chaque école a participé à l’augmentation du nombre de « parents hélicoptères » et d’enfants barricadés chez eux dans le but de les protéger.
En général nous sommes dans une culture qui est de plus en plus anxieuse et incertaine.
Et c’est là un paradoxe extraordinaire, car nous vivons bien plus en sécurité que jamais auparavant. Même si nous sommes plus protégés que presque toutes les autres sociétés à travers l’histoire, la sécurité est devenue le Graal de notre culture. Et comme le Saint Graal, c’est quelque chose que nous ne pourrons jamais atteindre. Protégés comme jamais auparavant, nous sommes aussi plus nerveux et paniqués que jamais.
Comment est-ce possible ? Tout simplement, notre culture a perdu Dieu comme principal objet de crainte. Cette crainte de Dieu (comme j’espère le démontrer) était une crainte heureuse et saine qui modelait et contrôlait nos autres craintes, et en conséquence, maîtrisait notre anxiété.
Puisque la société a oublié que Dieu est l’objet adéquat d’une saine crainte, notre culture devient nécessairement de plus en plus névrosée, plus anxieuse vis-à-vis de l’inconnu, et, effectivement, plus anxieuse à propos de tout et de n’importe quoi.
Après avoir évincé Dieu de notre culture, les autres préoccupations, de notre santé individuelle à celle de notre planète, ont endossé le rôle de divinité suprême dans nos esprits. De bonnes choses sont devenues des idoles cruelles et impitoyables. Alors nous nous sentons désespérément fragiles. Puisqu’elle n’est plus ancrée dans rien, la société se remplit d’angoisses flottantes.
L’épouvantable héritage de l’athéisme
Suggérer que l’abandon de la crainte de Dieu est la cause profonde de l’anxiété qui ronge notre culture porte un coup puissant à l’athéisme. Car l’athéisme promettait exactement le contraire. L’athéisme faisait la promesse qu’en libérant les gens de leur croyance en Dieu, ils seraient libérés de leurs craintes. Mais se débarrasser de la peur de Dieu n’a pas rendu notre société plus heureuse et moins anxieuse. C’est plutôt le contraire.
Alors, que fait notre culture de toute cette anxiété ? Puisque son identité propre est principalement laïque, notre société ne se tournera pas vers Dieu. La seule solution est donc que nous prenions soin de ce problème nous-mêmes. C’est ainsi que la société occidentale après les Lumières a médicalisé la crainte. La crainte est devenue une maladie difficile à appréhender qu’il est nécessaire de soigner par la médication. (Je ne suis pas en train de dire que l’usage de médicaments pour juguler l’anxiété est une mauvaise chose, je dis juste qu’il s’agit d’un palliatif, parfois important, mais pas la solution ultime.) Pourtant, cette tentative d’éradication de la crainte, comme nous voudrions éradiquer entièrement une maladie, a en réalité permis que le confort ou la quiétude (à savoir l’absence totale de crainte) deviennent un domaine de la santé, ou même un domaine de la moralité. Alors que l’inconfort ou l’agitation étaient auparavant considérés comme relativement normaux (et plutôt légitimes dans certaines situations), ils sont maintenant vus comme particulièrement malsains.
Cela signifie que dans une culture submergée par la peur et l’anxiété, la peur est considérée comme une chose complètement négative dans la société. Et les chrétiens ont été emportés par cette vague d’opinion, adhérant à la manière négative d’évaluer toute crainte. Il n’est donc pas étonnant que nous hésitions à parler de la crainte de Dieu, malgré son importance dans les Écritures et dans l’histoire de la pensée chrétienne. C’est parfaitement compréhensible, mais c’est tragique : perdre la crainte de Dieu, c’est ce qui a inauguré l’ère moderne de l’anxiété, mais la crainte de Dieu est le véritable antidote à notre agitation.
Michael Reeves
コメント