LA TENTATION DES PROPHÉTIES FACILES

Nous vivons une époque où les prophéties prolifèrent comme une infection. Dans chaque période de turbulence, il semble que surgissent des voix proclamant avec une assurance révoltante connaître les plans secrets de Dieu pour notre monde désorienté.

J'ai récemment entendu quelqu'un prophétiser la destitution imminente d'un dirigeant politique. D'autres voient dans tel ou tel leader un "élu de Dieu", destiné à accomplir une mission divine sur la scène mondiale. Ces prophètes modernes prétendent posséder une ligne directe avec le Ciel... un numéro de portable divin leur permettant de recevoir des communiqués célestes sur mesure concernant les affaires terrestres.

Franchement ? J'en ai assez. Cette mascarade me révulse.

Une profanation du sacré

Ce que je vois n'est rien de moins qu'une profanation. Nous avons transformé Dieu en conseiller politique, en faiseur de rois, en marionnettiste cosmique tirant les ficelles des gouvernements selon nos préférences partisanes. C'est de l'idolâtrie pure et simple, aussi grossière que les veaux d'or de l'Ancien Testament, mais habillée dans le langage pieux de la "prophétie".

Ces soi-disant prophètes ne parlent pas pour Dieu. Ils ventriloquent leurs propres frustrations politiques à travers une façade spirituelle. C'est de la manipulation, pas de la révélation. C'est du marketing religieux, pas du discernement divin.

Quand nous prétendons savoir avec certitude que Dieu s'apprête à renverser tel gouvernement ou à élever tel autre, nous ne faisons pas que nous tromper nous-mêmes. Nous mentons. Nous mentons sur Dieu, nous mentons à nos frères et sœurs, et nous corrompons l'Évangile pour servir nos agendas politiques mesquins.

Le vrai visage de la prophétie

Les vrais prophètes bibliques auraient craché sur ce cirque. Amos, ce berger devenu prophète, n'annonçait pas quel roi serait renversé pour satisfaire les ambitions de tel ou tel parti. Il dénonçait l'injustice systémique, l'exploitation des pauvres, l'hypocrisie religieuse des puissants qui priaient le matin et opprimaient l'après-midi.

Jean-Baptiste ne prédisait pas les remaniements gouvernementaux. Il appelait tout le monde ( du soldat au collecteur d'impôts, du pharisien au publicain ) à la repentance radicale. Il dérangeait tout le monde, y compris et surtout les religieux qui pensaient avoir Dieu dans leur poche.

La prophétie authentique n'est pas une boule de cristal spirituelle. C'est un coup de poing dans l'estomac de notre complaisance. Elle expose nos compromis, nos petits arrangements avec la vérité, nos alliances contre-nature avec le pouvoir. Elle nous force à regarder dans le miroir et à voir à quel point nous ressemblons peu à Christ.

L'arrogance déguisée en révélation

Ce qui me met en colère, vraiment en colère, c'est l'arrogance monumentale de ces proclamations. L'audace de prétendre connaître les pensées intimes de Dieu sur la politique française, américaine ou mondiale. L'orgueil démesuré de s'ériger en porte-parole du Tout-Puissant pour légitimer ses propres opinions politiques.

Où est la crainte de Dieu dans tout cela ? Où est le tremblement d'Ésaïe qui, face à la sainteté divine, s'est écrié : "Malheur à moi ! Je suis perdu" ? Ces prophètes autoproclamés ne tremblent pas. Ils pontifient. Ils pérorent. Ils se pavanent dans leur certitude spirituelle comme des paons religieux.

Nous avons réduit le Dieu de l'univers... celui qui a créé les galaxies, qui soutient chaque atome par sa parole, devant qui les nations sont comme une goutte d'eau dans un seau... à un commentateur politique aligné sur nos préférences idéologiques. C'est obscène.

Le prix de cette imposture

Cette imposture a un prix. Elle détruit la crédibilité de l'Église. Elle transforme l'Évangile en programme partisan. Elle repousse ceux qui cherchent sincèrement Dieu mais qui voient à travers cette manipulation transparente.

Pire encore, elle anesthésie notre conscience morale. Quand nous convainquons les gens que Dieu est de leur côté politiquement, nous leur donnons une permission divine de haïr leurs adversaires, de diaboliser ceux qui pensent différemment, de traiter les élections comme des guerres saintes. Nous transformons la politique en religion et la religion en arme politique.

J'ai vu des amitiés détruites, des familles divisées, des églises éclatées à cause de ces prophéties toxiques. J'ai vu des chrétiens sincères tellement convaincus que Dieu avait choisi leur candidat qu'ils ne pouvaient plus voir l'humanité de ceux qui votaient autrement.

Un appel à la décence spirituelle

Il est temps de dire stop. Il est temps d'appeler ce mensonge par son nom. Il est temps d'exiger une décence spirituelle minimale de ceux qui prétendent parler au nom de Dieu.

Si vous prétendez prophétiser, alors prophétisez selon l'Écriture. Dénoncez l'injustice partout où vous la trouvez... à gauche comme à droite. Appelez l'Église à la repentance pour ses compromis et ses idolâtries. Proclamez le jugement sur notre matérialisme, notre indifférence aux pauvres, notre tribalisme politique, notre racisme persistant, notre nationalisme idolâtre.

Mais cessez de prétendre que Dieu vous a confié ses plans pour les prochaines élections. Cessez d'instrumentaliser le nom de Dieu pour légitimer vos préférences politiques. Cessez de prostituer la prophétie pour servir vos agendas humains.

La vraie liberté

L'Évangile nous offre quelque chose de bien plus précieux que des prédictions politiques : la liberté. La liberté de ne pas avoir à parier notre foi sur les résultats électoraux. La liberté de servir Christ quel que soit celui qui occupe le pouvoir. La liberté d'aimer nos ennemis politiques parce que Christ nous a aimés alors que nous étions ses ennemis.

Cette liberté est radicale. Elle nous libère de l'anxiété politique qui consume notre culture. Elle nous permet de nous engager pour la justice sans faire de la politique une idole. Elle nous donne le courage de dire la vérité au pouvoir sans prétendre que nos opinions politiques sont révélation divine.

Nous n'avons pas besoin de faux prophètes nous disant ce que Dieu pense de Macron, Trump ou qui que ce soit d'autre. Nous avons besoin de prophètes qui nous rappellent ce que Dieu pense de notre hypocrisie, de notre dureté de cœur, de notre amour de l'argent, de notre indifférence aux souffrants.

Nous n'avons pas besoin de certitudes factices sur les plans politiques de Dieu. Nous avons besoin de l'humilité d'admettre que nous voyons à travers un verre obscurément, que nous ne connaissons qu'en partie, que les voies de Dieu sont plus hautes que nos voies.

Conclusion sans compromis

Je ne sais pas quel dirigeant Dieu veut voir au pouvoir, et vous non plus. Quiconque prétend le savoir avec certitude est soit un menteur, soit un fou, soit les deux.

Ce que je sais, c'est que Dieu nous appelle à aimer nos ennemis, à rechercher la justice, à défendre l'orphelin et la veuve, à marcher humblement. Ces impératifs ne changent pas selon les sondages ou les résultats électoraux.

La vraie prophétie pour notre époque n'est pas de prédire qui tombera ou qui s'élèvera. C'est de vivre l'Évangile avec une telle authenticité, une telle intégrité, un tel amour radical que le monde ne puisse plus ignorer Christ.

Tout le reste n'est que du bruit. Du bruit dangereux, certes. Mais du bruit quand même.

Il est temps de revenir au silence, à l'écoute véritable, à l'obéissance humble. Il est temps d'arrêter de parler pour Dieu et de commencer à l'écouter vraiment. Il est temps de cesser de prophétiser et de commencer à prier.

Et si nous ne pouvons pas faire cela, alors au moins ayons la décence de nous taire.

Philippe Tarabon