LE RETOUR À LA MAISON
- PHILIPPE TARABON
- il y a 7 jours
- 16 min de lecture

Il y a quelque chose d’irrésistiblement subversif dans la simplicité. Quelque chose qui dérange nos instincts conditionnés par la complexité. Nous avons appris à associer l’importance à la grandeur, la légitimité à l’institution, la maturité à la structure. Alors quand on nous présente un modèle d’église qui tient dans un salon, notre premier réflexe est souvent le scepticisme.
“Une vraie église ?” demandons-nous avec un sourire indulgent, comme on parlerait d’enfants jouant à la dinette.
Mais voilà le paradoxe troublant : ce modèle que nous trouvons naïf, primitif, insuffisant, est précisément celui que Jésus et Ses apôtres ont utilisé pour transformer le monde. Pendant trois siècles, l’Église la plus puissante, la plus pure, la plus missionnaire que le monde ait jamais connue s’est réunie exclusivement dans des maisons.
Pas de cathédrales. Pas d’auditoriums. Pas de bâtiments dédiés avec des croix au sommet. Juste des maisons ordinaires où des gens extraordinaires se rassemblaient au nom de Jésus.
Les fantômes du Nouveau Testament
Ouvrez les épîtres de Paul et vous verrez ces églises de maison surgir à chaque page, comme des fantômes d’un passé que nous avons enterré sous des siècles d’architecture ecclésiastique.
“Saluez Prisca et Aquilas... avec l’église qui est dans leur maison.” Romains 16:3-5.
“Les églises d’Asie vous saluent. Aquilas et Prisca, avec l’église qui est dans leur maison, vous saluent chaleureusement dans le Seigneur.” 1 Corinthiens 16:19.
“Saluez... Nymphas, et l’église qui est dans sa maison.” Colossiens 4:15.
Et peut-être la plus touchante de toutes : “Saluez Apphia notre sœur, Archippe notre compagnon de combat, et l’église qui est dans ta maison.” Philémon 1:2.
Ce n’étaient pas des mesures temporaires, des solutions de repli en attendant de pouvoir se payer un vrai bâtiment. C’était le modèle. L’église d’Éphèse… cette communauté puissante où Paul a enseigné pendant trois ans se composait d’un réseau d’églises de maison. L’église de Corinthe, avec tous ses problèmes et sa vitalité chaotique, était un ensemble de maisons-églises. L’église de Rome, qui allait devenir le centre du christianisme occidental, a commencé comme une constellation de petites communautés domestiques.
Quand Pierre a été miraculeusement libéré de prison, où est-il allé ? “Il se rendit à la maison de Marie, mère de Jean surnommé Marc, où plusieurs personnes étaient rassemblées et priaient.” Actes 12:12.
La maison de Marie n’était pas juste un lieu de réunion occasionnel. C’était leur église. Et cette nuit-là, alors que Pierre frappait à la porte au milieu de la nuit, c’est toute une communauté qui était là, ensemble, priant pour sa libération.
Essayez d’imaginer la scène. La pauvre Rhoda, la servante, tellement bouleversée de reconnaître la voix de Pierre qu’elle oublie de lui ouvrir et court annoncer la nouvelle. Les autres qui ne la croient pas : “Tu es folle ! C’est son ange !” Pendant ce temps, Pierre continue de frapper, probablement de plus en plus perplexe.
C’est une scène délicieusement humaine, chaotique, réelle. Pas une liturgie soigneusement orchestrée. Pas un service programmé à la minute près. Juste la vie ( la vraie vie spirituelle ) se déroulant dans l’espace familier d’une maison.
L’argument du silence
Voici ce qui devrait tous nous arrêter : le Nouveau Testament ne mentionne jamais, pas une seule fois, la construction d’un bâtiment d’église. Jamais. Trois cents ans d’histoire de l’Église primitive, et pas un seul édifice dédié au culte.
Certains diront : “Mais c’était par nécessité ! Ils étaient persécutés, ils n’avaient pas le choix.” Vraiment ? Les premiers chrétiens ont vécu des périodes de persécution intense, c’est vrai. Mais ils ont aussi connu de longues périodes de paix relative. L’Église a explosé numériquement. Elle comptait des membres riches, influents. Elle aurait pu construire.
Mais elle ne l’a pas fait.
Ce n’était pas une question de moyens. C’était une question de vision. Ils avaient compris quelque chose que nous avons oublié : Jésus n’est pas venu établir une nouvelle religion avec de nouveaux temples. Il est venu établir une nouvelle humanité, une famille, un Corps vivant. Et les familles se retrouvent dans des maisons, pas dans des auditoriums.
Pensez aux dernières paroles de Jésus avant Son ascension : “Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit.” Matthieu 28:19-20.
Pas un mot sur la construction d’édifices. Pas une instruction sur l’architecture sacrée. Juste : faites des disciples. Et Ses apôtres L’ont pris au mot. Ils ont fait des disciples ( des milliers, puis des dizaines de milliers ) sans jamais construire un seul bâtiment.
Si la construction d’églises était un signe de maturité spirituelle, alors l’Église apostolique était immature. Si posséder des propriétés impressionnantes était la marque du succès, alors Paul et Pierre étaient des échecs. Mais nous savons que c’est exactement l’inverse.
La libération des ressources
Je me souviens d’une conversation avec un ami pasteur qui venait de superviser la construction d’un nouveau bâtiment pour son église. Budget : trois millions d’euros. Il rayonnait de fierté en me faisant visiter les lieux. L’auditorium moderne. Les salles de classe pour enfants avec leurs équipements high-tech. La cuisine commerciale. Le système audio dernier cri.
“C’est magnifique,” ai-je dit sincèrement. Parce que c’était effectivement beau, impressionnant même.
Puis j’ai posé une question qui a jeté un froid : “Combien de missionnaires aurais-tu pu soutenir pendant vingt ans avec ces trois millions ?”
Il a calculé mentalement. Son visage s’est assombri. “Au moins vingt,” a-t-il murmuré. “Peut-être trente.”
Vingt à trente ouvriers à plein temps dans les champs de mission, contre un bâtiment utilisé quelques heures par semaine. C’est l’équation brutale à laquelle nous refusons de faire face.
Les églises de maison résolvent ce dilemme de la manière la plus radicale qui soit : elles éliminent complètement les coûts d’infrastructure. Pas d’hypothèque. Pas de factures de chauffage astronomiques. Pas d’assurance bâtiment. Pas d’entretien. Pas de rénovations décennales. Zéro.
Imaginons une communauté de quinze familles. Chaque famille donne dix pour cent de son revenu. Même avec des revenus modestes… disons un salaire moyen de 2500 euros par mois par foyer… cela fait 3750 euros par mois, 45 000 euros par an. Dans un modèle institutionnel, une bonne partie de cet argent disparaîtrait dans le bâtiment et l’administration. Dans un modèle de maison, cet argent peut aller directement à la mission.
Vous pourriez soutenir un pasteur à plein temps au niveau de vie moyen de la communauté. Vous pourriez financer deux ou trois missionnaires. Vous pourriez avoir un fonds substantiel pour aider les pauvres, les veuves, les orphelins. Vous pourriez investir dans des projets concrets : microcrédit, éducation, soins médicaux dans des régions défavorisées.
Et tout cela sans jamais dépenser un centime en béton et en climatisation.
La révolution de la participation
Mais la différence la plus profonde entre une église de maison et une église institutionnelle ne se mesure pas en euros. Elle se mesure en vie.
Paul écrit aux Corinthiens : “Que faire donc, frères et sœurs ? Lorsque vous vous assemblez, chacun de vous peut chanter un cantique, enseigner, révéler ce qui lui a été montré, parler en langue, interpréter. Que tout se fasse pour l’édification.” 1 Corinthiens 14:26.
Lisez ce verset lentement. Chacun de vous. Pas seulement le pasteur. Pas seulement les anciens. Pas seulement l’équipe de louange professionnelle. Chacun.
Chacun peut apporter un cantique. Chacun peut enseigner. Chacun peut partager une révélation. C’est le modèle biblique de l’assemblée : une symphonie où chaque instrument a sa place, pas un concert où quatre-vingt-dix-neuf pour cent de l’audience écoute passivement un pour cent de performers.
Mais essayez d’appliquer ce modèle dans une église de trois cents personnes. C’est structurellement impossible. Même si vous donniez à chaque personne seulement deux minutes pour partager quelque chose, vous auriez besoin de dix heures. Le format même de la grande assemblée tue la participation universelle que Paul considérait comme normale.
Dans une église de maison de quinze à vingt personnes, tout change. Tout le monde peut effectivement participer. Jean partage un cantique qu’il a écrit pendant sa méditation matinale. Marie explique comment un passage de l’Ancien Testament a soudainement pris vie pour elle cette semaine. Thomas pose une question théologique qui déclenche une discussion enrichissante. Sophie prie pour Luc qui traverse une épreuve, et sa prière est suivie de plusieurs autres qui ajoutent leurs intercessions.
L’Esprit Saint peut se manifester à travers chacun. Les dons spirituels ne sont plus théoriques. Ils sont exercés, testés, affinés dans un environnement sûr et familial. Personne ne se cache dans l’anonymat d’une foule. Personne n’est un simple spectateur.
J’ai visité une église de maison où ils pratiquent ce qu’ils appellent “l’enseignement dialogique”. Le responsable présente un passage biblique et l’explore pendant quinze ou vingt minutes. Puis il ouvre le temps aux questions, aux commentaires, aux applications personnelles. Ce qui suit est souvent extraordinaire. Des insights que le responsable n’avait pas vus. Des applications pratiques nées de situations de vie concrètes. Des questions qui poussent tout le monde à réfléchir plus profondément.
“Au début, j’avais peur de perdre le contrôle,” m’a confié ce responsable. “J’étais habitué à être le professeur, celui qui a toutes les réponses. Mais j’ai découvert que le Saint-Esprit habite dans tous mes frères et sœurs, pas seulement en moi. Souvent, ils voient des choses que j’ai manquées. Et nous grandissons tous ensemble.”
C’est ça, la vraie fraternité. Pas la camaraderie superficielle autour d’un café après le service. Mais le partage profond de la vie spirituelle, où chacun donne et reçoit, où chacun enseigne et apprend, où chacun sert et est servi.
La Cène retrouvée
Une des pertes les plus tragiques de l’institutionnalisation de l’Église est la transformation de la Cène en rituel rapide et désincarné.
Dans la plupart des églises que je connais, la communion se déroule ainsi : on fait circuler des plateaux avec des minuscules morceaux de pain (ou des hosties) et des gobelets individuels remplis de jus de raisin. Chacun prend son morceau et son gobelet. Le pasteur lit un passage des Écritures. On mange et boit simultanément, souvent en silence. Trois minutes, quatre tout au plus. Puis on passe aux annonces ou au chant suivant.
Un ami pasteur a appelé ça “le saint casse-croûte de Dieu”. L’expression est irrévérencieuse, mais elle capture malheureusement bien la réalité.
Or, que faisaient les premiers chrétiens ? Ils partageaient un vrai repas. Une agape… littéralement, un repas d’amour. Ils se rassemblaient le soir, après le travail. Chacun apportait de la nourriture. Ils s’installaient autour d’une table (ou plusieurs tables, ou par terre avec des plateaux). Ils mangeaient ensemble, parlaient, riaient, partageaient les nouvelles de la semaine.
Et au milieu de ce repas ( ou peut-être à la fin ) ils prenaient le pain et la coupe avec une signification particulière, se souvenant du sacrifice de Christ, célébrant leur unité en Lui.
C’était incarné. C’était communautaire. C’était lent. C’était humain.
Paul reproche vivement aux Corinthiens d’avoir perverti ce repas en créant des divisions (1 Corinthiens 11:17-34). Certains arrivaient tôt et mangeaient tout sans attendre les autres, notamment les esclaves qui devaient travailler plus tard. Mais remarquez : même dans sa réprimande, Paul ne suggère jamais d’abandonner le repas communautaire. Il les appelle simplement à le vivre correctement, dans l’amour et le respect mutuel.
Les églises de maison que j’ai visitées ont souvent retrouvé cette pratique. Elles se rassemblent pour un vrai repas. Parfois c’est un repas-partage où chacun apporte un plat. Parfois une famille hôte prépare le repas principal et les autres apportent les entrées et les desserts. Parfois ils commandent des pizzas et partagent les frais.
Mais toujours, ils mangent ensemble. Et dans ce contexte de table partagée, la Cène reprend sa signification originelle. Ce n’est plus un rituel abstrait, c’est le cœur d’une communion réelle. On se souvient de Jésus tout en vivant concrètement l’unité qu’Il a créée entre nous.
“La première fois que nous avons fait ça,” m’a raconté une femme, “j’ai pleuré. J’avais pris la communion pendant vingt ans dans mon église précédente, et c’était devenu tellement... automatique. Mais là, assise à table avec mes frères et sœurs, mangeant avec eux, puis partageant le pain en nous regardant dans les yeux et en disant ‘Le corps de Christ, brisé pour toi’... Soudain j’ai compris. Vraiment compris.”
Le pasteur libéré
J’ai déjeuné récemment avec deux pasteurs. L’un dirige une église institutionnelle de 250 membres. L’autre supervise un réseau de quatre églises de maison totalisant environ soixante personnes.
Le premier était épuisé. Il avait cette fatigue profonde dans les yeux que j’ai appris à reconnaître chez tant de pasteurs institutionnels. Il me parlait de sa semaine typique : trois réunions de comité, deux sessions de conseil, une visite à l’hôpital, la préparation du sermon (toujours suspendue au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès), un conflit entre deux familles influentes qu’il devait gérer diplomatiquement, sans oublier les urgences administratives… un problème de plomberie dans le bâtiment, une décision à prendre sur l’embauche d’un nouveau responsable de la jeunesse, la révision du budget avec le trésorier.
“Quand est-ce que tu formes réellement des disciples ?” ai-je demandé.
Il a ri, mais c’était un rire sans joie. “Je ne sais pas. J’essaie. Mais je n’ai pas le temps de relations profondes avec les gens. Je les vois le dimanche. Peut-être dans une réunion de comité. Mais passer du temps de qualité, marcher vraiment avec eux dans leur croissance spirituelle ? Quand ?”
Le second pasteur, en revanche, rayonnait. Il me décrivait sa semaine : chaque église de maison se réunit une fois. Il visite chacune environ une fois par mois, plus souvent si nécessaire. Le reste du temps, il « disciple » personnellement quatre hommes avec qui il se réunit individuellement chaque semaine. Il prie plusieurs heures par jour. Il étudie en profondeur. Il est disponible quand quelqu’un a vraiment besoin de lui.
“Je connais chaque personne intimement,” disait-il. “Leurs luttes, leurs victoires, leurs peurs, leurs dons. Je ne suis pas un CEO qui gère une organisation. Je suis un père spirituel qui marche avec ses enfants.”
Quelle différence !
Le modèle institutionnel transforme le pasteur en administrateur, en politicien, en performer. Il doit être doué pour la gestion, les finances, la résolution de conflits, la communication publique. Et oui, accessoirement, il doit aussi être spirituel. Mais honnêtement, dans beaucoup d’églises, les compétences managériales comptent davantage que la profondeur spirituelle dans le processus d’embauche.
Le modèle de l’église de maison permet au pasteur de se concentrer sur sa véritable vocation : faire des disciples. Équiper les saints. Former des leaders spirituels. Être, comme Paul l’écrit à Timothée, comme un père pour ses enfants spirituels.
Et voici quelque chose de fascinant : dans ce modèle, le pasteur n’a pas besoin d’être un orateur exceptionnel. Il n’a pas besoin d’être un génie administratif. Il doit simplement être un homme (ou une femme) de Dieu qui marche intimement avec le Seigneur et qui sait comment accompagner d’autres personnes dans cette marche.
Les compétences requises sont complètement différentes. Et soudainement, beaucoup plus de personnes deviennent qualifiées pour le rôle pastoral.
La famille réunie
Un dimanche après-midi, j’ai visité une église de maison où trois générations étaient présentes. Des grands-parents dans la soixantaine. Leurs enfants adultes avec leurs propres familles. Et les petits-enfants, allant du nourrisson à l’adolescent de quinze ans.
Pendant le temps de partage, un garçon de douze ans a posé une question théologique étonnamment profonde sur la justice de Dieu. Sa question a déclenché une discussion de vingt minutes où plusieurs adultes ont partagé leurs perspectives, toujours en gardant le garçon dans la conversation. À la fin, un des grands-pères a raconté une histoire de sa propre vie qui illustrait magnifiquement le point. Le garçon écoutait, fasciné.
Plus tard, quand un bébé s’est mis à pleurer, au lieu de la gêne habituelle et de la mère qui s’excuse et sort précipitamment, plusieurs personnes se sont levées pour aider. Une femme a pris le bébé pour que la mère puisse finir son repas tranquillement. Un adolescent a joué avec le bambin de deux ans pour le distraire.
“C’est notre famille élargie,” m’a expliqué une des mères. “Dans mon église précédente, les enfants étaient expédiés en classe dès notre arrivée. Je les revoyais à la fin du service. Ici, ils sont avec nous. Ils apprennent en nous observant. Ils posent leurs questions dans le contexte réel de la communauté. Et les adultes plus âgés les aiment comme leurs propres petits-enfants.”
Comparez cela au modèle institutionnel moderne où les familles sont systématiquement fragmentées. Les bébés vont à la crèche. Les enfants d’âge préscolaire ont leur programme. Les enfants d’école primaire le leur. Les ados ont le groupe de jeunes. Les jeunes adultes ont leur propre service. Les adultes sont dans le “vrai” culte. Et les seniors ont leur réunion à part.
Nous avons segmenté l’Église comme une entreprise segmente son marché. Chaque groupe d’âge reçoit un produit “adapté à ses besoins”. Mais dans le processus, nous avons détruit quelque chose de précieux : la transmission intergénérationnelle naturelle de la foi.
Les statistiques sont accablantes. Soixante à soixante-dix pour cent des jeunes qui grandissent dans des églises évangéliques abandonnent la foi après le lycée. Soixante à soixante-dix pour cent ! Nos programmes pour enfants et pour jeunes ( avec tous leurs jeux, leurs activités excitantes, leur technologie dernier cri ) échouent massivement à produire des disciples durables.
Pourquoi ? Parce qu’ils remplacent la formation authentique par le divertissement. Parce qu’ils déresponsabilisent les parents, qui délèguent l’éducation spirituelle de leurs enfants à des “professionnels”. Parce qu’ils isolent les jeunes de la vraie communauté chrétienne intergénérationnelle.
Dans une église de maison, les enfants ne sont pas parqués ailleurs pendant que les adultes font les “vraies” choses spirituelles. Ils sont là, observant, apprenant, participant à leur niveau. Ils voient comment les adultes prient réellement. Ils entendent comment on discute des Écritures. Ils sont témoins de l’amour authentique entre croyants. Ils posent leurs questions dans le contexte naturel de la vie communautaire.
Et peut-être plus important : la responsabilité spirituelle de leurs enfants reste clairement sur les épaules des parents, où Dieu l’a toujours placée (Deutéronome 6:6-9, Éphésiens 6:4). Les parents ne peuvent pas s’en laver les mains en disant “l’église s’en occupe”.
L’équilibre doctrinal
“Mais sans pasteur formé théologiquement, comment éviter les dérives doctrinales ?” C’est l’objection que j’entends le plus souvent concernant les églises de maison.
C’est une préoccupation légitime. Les hérésies sont réelles. Les faux enseignements sont dangereux. Mais voici le paradoxe : les pires dérives doctrinales de l’histoire chrétienne ne se sont pas produites dans de petites églises de maison manquant de structure. Elles se sont produites dans des institutions bien établies avec des hiérarchies claires et des théologiens formés.
L’Inquisition n’était pas l’œuvre d’églises de maison désorganisées. Le mouvement de prospérité qui ravage tant d’églises aujourd’hui ne vient pas de petits groupes domestiques obscurs. Il est propagé par des méga-églises avec des pasteurs célèbres.
Le modèle de l’église de maison a ses propres garde-fous intégrés. D’abord, dans une petite communauté, l’enseignement peut être examiné immédiatement. Quand quelqu’un partage une interprétation douteuse, d’autres peuvent poser des questions, proposer des perspectives alternatives, chercher ensemble dans les Écritures.
Dans une grande assemblée, le pasteur prêche depuis sa chaire et personne ne peut remettre en question son interprétation sur le moment. Si quelqu’un a un désaccord doctrinal, il doit prendre rendez-vous, peut-être des jours ou des semaines plus tard. Et souvent, plutôt que de se confronter, les gens partent simplement pour une autre église.
Ensuite, les églises de maison fonctionnent généralement en réseaux. Elles ne sont pas isolées. Elles se connectent avec d’autres églises de maison, souvent supervisées par des anciens ou des planteurs d’église expérimentés qui assurent une certaine surveillance doctrinale.
Mais surtout ( et c’est crucial ) les églises de maison saines comprennent que l’unité ne vient pas de l’uniformité doctrinale parfaite, mais de l’amour.
“Ce qui nous lie,” m’a dit un responsable d’église de maison, “ce n’est pas que nous sommes d’accord sur tout. C’est que nous nous aimons et que nous sommes tous soumis à Christ et à Sa Parole. Nous avons des désaccords sur des questions secondaires. Mais nous les explorons ensemble, avec grâce et humilité, sans que personne doive partir ou soit excommunié parce qu’il voit les choses différemment.”
Paul écrit : “Accueillez celui qui est faible dans la foi sans discuter ses opinions... Qui es-tu pour juger le serviteur d’un autre ? Qu’il tienne bon ou qu’il tombe, cela regarde son maître ; mais il tiendra bon, car le Seigneur a le pouvoir de l’affermir.” Romains 14:1,4.
Il y a un espace pour la diversité théologique au sein de l’unité chrétienne. Les églises de maison, à leur meilleur, créent cet espace. Les églises institutionnelles, avec leurs déclarations de foi rigides et leurs lignes doctrinales tracées dans le béton, ont souvent du mal à le faire.
La multiplication naturelle
Voici peut-être l’avantage le plus stratégique du modèle de l’église de maison : il se multiplie naturellement.
Une église institutionnelle qui veut planter une nouvelle église fait face à un défi énorme. Elle doit trouver un pasteur qualifié. Lever des fonds substantiels. Trouver ou louer un lieu de rencontre. Acheter de l’équipement. Probablement embaucher au moins un employé à temps partiel. Budget minimum pour une implantation réaliste : facilement 100 000 à 200 000 euros par an pendant les premières années.
Résultat ? La plupart des églises n’implantent jamais. C’est trop coûteux, trop risqué, trop complexe.
Une église de maison qui veut se multiplier ? Quelqu’un dans la communauté ouvre sa maison et invite des voisins, des collègues, des amis. Pas de budget nécessaire. Pas d’équipement à acheter. Pas de local à louer.
J’ai étudié l’exemple d’un réseau d’églises de maison qui a commencé avec un seul groupe il y a dix ans. Aujourd’hui, ils sont quarante-sept églises de maison dans leur ville et les environs. Quarante-sept, en dix ans, avec un budget global inférieur à ce qu’une seule méga-église dépense pour son bâtiment.
Comment ? Chaque fois qu’une église de maison atteignait vingt-cinq à trente personnes, ils formaient intentionnellement de nouveaux leaders et divisaient le groupe en deux. Ces deux groupes continuaient de se rencontrer occasionnellement tous ensemble, maintenant les relations, mais fonctionnaient comme deux églises distinctes. Et le processus se répétait.
“Notre objectif n’est pas de construire de grosses églises,” m’a expliqué le coordinateur du réseau. “C’est de saturer notre ville avec des communautés de disciples. Nous voulons qu’aucune personne ne soit à plus de dix minutes d’une église de maison qui peut l’accueillir.”
C’est une vision radicalement différente de la croissance d’église. Pas plus gros. Plus nombreux. Pas centralisé. Distribué. Pas des consommateurs convergeant vers un lieu central. Des disciples dispersés dans toute la ville comme du levain dans la pâte.
Les défis réels
Je ne veux pas idéaliser les églises de maison. Elles ont leurs propres défis et dangers.
Sans structure claire, elles peuvent devenir le terrain de jeu de personnalités dominantes qui imposent leurs vues. Sans supervision, elles peuvent dériver dans des erreurs doctrinales. Sans vision au-delà d’elles-mêmes, elles peuvent devenir des clubs confortables de gens qui se ressemblent, perdant tout élan missionnaire.
J’ai vu des églises de maison imploser à cause de conflits personnels non résolus. Quand vous n’avez que quinze personnes et que deux familles se brouillent, c’est dévastateur. Dans une grande église, les gens peuvent s’éviter. Dans un salon, c’est impossible.
J’ai aussi vu des églises de maison stagner spirituellement, devenant de simples groupes de soutien psychologique plutôt que des communautés de disciples en croissance.
Les défis sont réels. Mais voici la différence cruciale : ce sont des défis d’échelle humaine. Ce sont les problèmes normaux de toute famille, de toute vraie communauté. Et ils peuvent être résolus de la même manière qu’une famille résout ses problèmes : par la communication honnête, le pardon mutuel, l’engagement à rester ensemble malgré les difficultés.
Les problèmes des églises institutionnelles, en revanche, sont souvent structurels et systémiques. Ils ne peuvent pas être résolus sans repenser fondamentalement le modèle lui-même.
La vraie question
Au fond, le choix entre église de maison et église institutionnelle n’est pas une question de préférence personnelle ou de goût liturgique. C’est une question beaucoup plus fondamentale : Quel modèle accomplit réellement ce que Jésus nous a appelés à faire ?
Jésus n’a pas dit : “Allez et construisez de beaux bâtiments.” Il a dit : “Faites des disciples.”
Jésus n’a pas dit : “Créez des spe
ctacles impressionnants qui attirent les foules.” Il a dit : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.”
Jésus n’a pas dit : “Établissez des organisations complexes avec des hiérarchies claires.” Il a dit : “Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.”
Quel modèle produit réellement des disciples matures ? Quel modèle permet réellement l’amour authentique et le partage de vie ? Quel modèle crée l’espace pour que chacun exerce ses dons et grandisse spirituellement ?
Si nous sommes honnêtes avec ces questions, la réponse devient inconfortable pour beaucoup d’entre nous.
Mais c’est précisément cet inconfort qui pourrait être le début.
Philippe Tarabon
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