Perfection ?
Vois-tu cette jeune fille dans l’Église ? Convertie enfant, fille d’une famille chrétienne, grandissant sur les bancs de l’Église, demandant son baptême, active auprès de la jeunesse, des enfants, à la louange … Elle est pleine de promesses, vive, motivée, elle a la joie de l’Éternel et prend plaisir à servir, elle est remplie d’idées pour de futurs projets et tout lui réussit…
Regarde là d’un peu plus près… tu la vois ? Elle a accepté Jésus comme Sauveur, mais elle a de la peine à l’accepter comme Seigneur. Elle est un peu légaliste ! Discernes-tu son fort caractère qui fait que c’est elle qui décide et qu’elle a de la peine à lâcher prise, à laisser Dieu prendre toute la place ?
Cette jeune fille, c’était moi. Et je savais que ce caractère m’empêchait de vivre pleinement avec Dieu. J’ai prié pour que Dieu brise ce caractère afin de me façonner à SON image, un peu comme la chanson « brise-moi, façonne-moi, oui c’est mon désir… ». Et Dieu a répondu à mes prières d’une façon dont je ne m’y attendais pas.
Âgée d’à peine vingt ans, je vois mon petit monde parfait qui s’écroule gentiment. J’ai toujours voulu me marier à dix-neuf ans et avoir mon premier enfant à vingt ans. Et voilà que j’ai vingt ans ! Et que je ne suis toujours pas mariée… Je vois qu’il y a certains domaines de ma vie que je ne maîtrise pas. C’est un des éléments déclencheurs qui fait que peu à peu, j’ai l’impression d’avoir raté ma vie… mais avec le recul, si je regarde bien, je vois qu’il y avait aussi une part de surcharge entre mes études, les services à l’Église, un job d’étudiant prenant, une vie sociale que j’essayais de conserver entre toutes ces activités… et puis, de toujours tendre à la perfection, par moi-même, c’était épuisant.
Un beau matin
Patatras… je suis au fond du bac. Je n’ai plus la force de me battre, d’atteindre cette perfection que tout le monde attend de moi (c’est en tout cas mon impression), plus la force d’entrer dans les moules que j’ai moi-même créés, plus la force de voir des gens même mes amis ! J’ai l’impression que, que ce soit avec mes amis ou même dans certains secteurs de l’Église dont j’ai la charge, je suis essentielle et si je ne fais pas le travail, rien ne s’organisera (plus aucune soirée entre potes, le groupe de jeunes de l’Église se perdrait … ). Je m’oblige à garder tête hors de l’eau : je ne veux pas être une personne faible ! Mais je n’ai plus la force de rire, d’être cette personne pleine d’idées qui les rend concrètes, d’être cette amie qui fait des soirées-repas de fous… j’ai juste envie de dire à tous ces gens : laissez-moi là, tranquille, ne vous souciez pas de moi…
On essaie…
J’essaie de m’en sortir par mes propres moyens, mais rien de fonctionne vraiment. Je fais comme si tout allait bien, je souris, j’essaie de maintenir le rythme dans toutes mes activités, mais je suis fatiguée… Je mange du chocolat, car cela redonne de l’énergie à mon corps qui en a tant besoin… enfin, c’est ce que je crois, cela ouvre plutôt le champ sur des compulsions boulimiques : encore quelque chose qu’il faut cacher. Je fume : la cigarette m’offre ce havre de paix que je recherche tant, mais une fois terminée, tout redevient comme avant. Les paquets s’enchaînent… Mes parents s’inquiètent !
J’ai envie de pleurer pour tout, je n’ai plus la force de rien… « Il y a des jours comme ça, je me sens mal tout au fond de moi, je ne peux l’exprimer, j’ai juste envie de pleurer… » que j’écrirais à ce moment-là. Plus la force de me lever, plus la force de me coiffer… Je me revois devant la glace de la salle de bain en train de pleurer, car la brosse est trop lourde pour que je puisse la prendre et me brosser les cheveux. J’ai l’impression d’être au fond d’un puits très profond et ne sais comment en sortir… Je n’ai plus la force… Lorsque je descends en voiture faire des courses, je vois ce grand poteau de ligne électrique dans le contour et j’y pense : si je ne prenais pas le contour, j’y foncerais dedans et tout s’arrêterait. Puis je pense à ma famille, au fait de se prendre la vie et de comparaître devant Dieu… et je prends le contour… toujours !
Je vais chez un psychologue chrétien qui est censé m’aider, mais j’ai l’impression qu’il ne m’apporte rien. Je le rencontre et lui parle pour faire plaisir à mes parents afin de leur montrer que je veux m’en sortir. J’ai l’impression qu’il ne peut rien pour moi, que personne ne le pourra jamais. C’est une période très floue, il n’y a pas de diagnostic de dépression et pourtant je suis en plein dedans. Il y a un refus de ma part de faire partie de ces gens dépressifs. D’une part, j’ai besoin qu’on me dise que je suis dépressive et en même temps, je ne veux pas en entendre parler. Je ne sais comment cela est possible, mais on me prescrit des médicaments pour « tenir le coup », que je prends, mais à quoi bon ?
Du fond de ma détresse
Et, à bout de forces, après avoir tout essayé et voyant que mon état s’empire et que je suis à bout : je crie enfin à Dieu. Dieu est là, au fond du gouffre avec moi, il me tend la main depuis toujours, mais cette fois-ci je la vois et je la prends. Je ne me débats plus, j’en suis incapable. Ensemble, nous remontons peu à peu ce puits profond pour retrouver la lumière, la vie. Cela prend du temps, les médicaments et certainement que mon psychologue y ont été pour quelque chose, la patience de ma famille aussi, mais c’est surtout Dieu qui m’a relevé, une fois que j’étais trop faible pour faire autre chose que m’attendre à Lui. Comment y est-il arrivé ? En me montrant que je n’avais pas besoin d’être ce modèle de perfection pour être appelée sa fille… que je n’avais pas besoin de faire plein de choses pour Lui, ce ne sont pas les œuvres en soi qui comptent et qui me font grimper les échelons de la sanctification… Et si je voulais faire quelque chose pour Lui, c’était avec Lui et non en m’épuisant, seule, à vouloir atteindre un idéal… il m’a montré ma faiblesse et m’a prouvé que cela avait du bon : je peux compter sur Lui, m’appuyer sur Lui. Cela m’a fait changer mon regard sur les autres : les personnes faibles ne sont pas toujours celles que l’on croit.
La remontée fut longue et difficile. J’ai l’impression que plus jamais je n’arriverai à être joyeuse et à vivre une vie normale… Mais, cela arrive, sans que j’en prenne pleinement conscience sur le moment. À petit pas… Je prends une année sabbatique en Suisse-allemande et en Allemagne où je suis fille au pair dans des familles chrétiennes qui n’avaient pas forcément besoin de quelqu’un. Je retrouve un petit cocon bienfaisant, je ne suis pas surchargée de travail et je me reconstruis petit à petit. Je redécouvre des joies simples, je n’ai aucune pression venant de mes activités d’avant, j’ai été obligé de tout lâcher pour partir… et je vois que, même sans moi, ils s’en sortent très bien et que personne n’est vraiment indispensable… encore un petit apprentissage pour mon égo !
Oui, cela a pris du temps, mais Dieu sait ce qu’Il fait, il a dirigé mon chemin… m’a montré mon légalisme, mes propres lois qui m’empêchait d’être pleinement avec Lui, comme des barrières.
Et maintenant ?
En regardant en arrière je peux le dire : oui, j’en suis sortie grâce à Lui ! Il y a des hauts et des bas, et dans ces derniers, j’ai toujours peur de connaître à nouveau le fond du gouffre… Pour ne pas l’atteindre, j’apprends à dire NON à des projets juste grandioses, mais qui me surchargeront trop, j’apprends à me dire STOP lorsque je vois les prémices d’une rechute. Je ne veux plus revivre cela. J’apprends à faire attention à ces petites lumières sur mon chemin qui me disent LA DÉPRESSION N’EST PAS LOIN. C’est bien, non ? J’apprends surtout à Lui faire confiance pour arriver à discerner tout cela.
Après cette épreuve, vous vous dites certainement que j’ai retenu la leçon. Ça été si difficile comme apprentissage… et bien pas toujours. Parfois oui (c’est le cas lorsque je ne suis pas maître d’une situation, comme une grossesse où je ne peux en rien maîtriser par moi-même) et parfois un peu moins : je me surprends à vouloir encore et toujours m’en sortir par mes propres forces en me remettant à Dieu au dernier moment, à parfois retourner sous cette Loi au lieu de bénéficier de la grâce, comme dans Galates 3. 1-14. Nous lisons par exemple au verset 11 : « Et que nul ne soit justifié devant Dieu par la loi, cela est évident, puisqu’il est dit : Le juste vivra par la foi. » Je me trouve désespérante parfois, ou plutôt… souvent !
Mais heureusement, nous avons un Dieu patient, rempli de grâce qui toujours nous rappelle à Lui et qui est prêt à reprendre la route avec nous. N’est-ce pas merveilleux ? Je ne peux que le louer et être reconnaissante à ce sujet.
J’aimerais vous dire à vous qui soutenez un proche qui passe par là : ne lui demandez pas de se secouer, il en est incapable. Soyez présent même s’il vous repousse, vous êtes importants et il ne le sait pas encore ! Aidez-le à trouver un médecin en qui il a confiance pour l’aider et surtout, prier ! Dieu seul peut offrir la délivrance.
Pour vous qui passez par-là, ne perdez pas espoir. Dieu est puissant et peut vous chercher dans le plus profond des gouffres où vous êtes tombés. Laissez-le agir, laissez-vous aider et s’il le faut, arrêtez tout ce que vous avez entrepris pour un temps et trouvez cet endroit qui vous permettra de reprendre goût à la vie, un pas après l’autre. Pour moi ça a été mon expérience de fille au pair, mais peut-être que vous devez juste vous arrêter chez vous, sans pensez au ménage et à votre longue liste de « to do ». Ce n’est pas une honte d’être faible, de ne plus pouvoir, ne vous forcez pas à être cette personne que vous n’êtes plus… Et sachez que cela va prendre du temps, beaucoup de temps… on ne s’en sort pas indemne et la peur de rechuter et toujours là, mais… nous avons un Dieu puissant qui prend soin de nous. Même si l’on retombe, même si on a l’impression que plus jamais on ne verra le soleil : accrochons-nous à Lui, marchons avec Lui et faisons-Lui confiance !
Émilie Grosrenaud