top of page

UNE ÉGLISE DE PROFESSANTS TRANSFORMÉE EN ÉGLISE DE MULTITUDE


Tandis que le mouvement des ADD se réclame du pentecôtisme classique, il est sidérant de voir qu'une grande majorité n'a jamais fait l'expérience du baptême du Saint-Esprit. Je ne veux pas mettre ici en doute la foi des chrétiens régénérés. Hélas, ils semblent peu nombreux.


Le constat est amer. La mondanité a envahi l'église à un rythme effréné : tribalisme, syncrétisme, débauche, cupidité, fraude, corruption, ivrognerie, occultisme, vaine manière de vivre liée au siècle présent, etc. N'oublions pas le suivisme. Un nombre important d'enfants nés de familles chrétiennes abondent dans l'église. Ce sont les chrétiens de la troisième ou la quatrième génération, en réalité des païens polis par l'hypocrisie de leur coeur. Ils fréquentent les cultes, mais ils ignorent la piété et ce qui en fait la force. Beaucoup participent à la Sainte Cène sans être régénérés. D'autres viennent pour satisfaire des dirigeants, des amis, pour obtenir quelque gain matériel, ou pour éviter l'exclusion sociale. L'église est remplie mais elle est malade de sa léthargie spirituelle et de son incapacité. Les religieux ont remplacé les spirituels. Le besoin de remplir les églises a conduit à une évangélisation tronquée et trompeuse, puis au baptême des non-croyants. C'est particulièrement vrai pour beaucoup de soi-disant « convertis » en Afrique. Il suffit que le païen répète la prière de la repentance pour qu'on en fasse un converti. À ce propos, Karl Grebe attire l'attention sur l'influence des concepts de la Religion Traditionnelle Africaine sur l'Église chrétienne, et il pointe du doigt le piège de la foi en l'Évangile en Afrique :

"Le fait que le christianisme s'est répandu si rapidement en Afrique est dû en partie au fait que la conception du monde suivant la R.T.A. est capable de s'accommoder très facilement au moins de quelques éléments clés du message de l'Évangile. Cela a été une grande opportunité pour l'expansion de l'Évangile, mais aussi un piège dangereux. La réceptivité n'égale pas nécessairement une conversion authentique, et pourtant on confond la réceptivité avec la conversion, spécialement lorsque dans la proclamation de l'Évangile, on souligne lourdement le fait de croire en Christ comme son Sauveur pour être sauvé du péché."


En fait, selon la conception du monde soutenue par la R.T.A., l'univers est gouverné par une hiérarchie de puissances spirituelles, présidée par Dieu qui gouverne le monde par délégation. Les puissances spirituelles inférieures gouvernent ce qui est du domaine de la terre, et Dieu a pourvu des intermédiaires par lesquels les hommes peuvent les contacter et obtenir leurs faveurs. Pour toucher Dieu, il n'existe pas d'intermédiaire, ce qui laisse la porte ouverte à l'Évangile qui présente Christ comme le médiateur, et son propre sacrifice comme rançon. L'Africain a donc naturellement tendance à accepter Christ qui lui garantit le salut et la vie éternelle, tout en gardant ses puissances inférieures pour les choses de cette vie. Karl Grebe et Wilfred Fon d'ajouter :

"Par conséquent, les Africains répondent volontiers à l'appel de croire en Christ comme étant le chemin qui mène à Dieu et à la vie éternelle. Toutefois, une telle réponse ne signifie pas nécessairement un changement total d'allégeance aux esprits à l'allégeance à Christ. Le concept de la R.T.A. suivant lequel Dieu n'intervient pas dans un monde dominé par les esprits n'est pas facilement abandonné à moins qu'il n'y ait eu une expérience précise de la puissance de Christ sur ces esprits."


Ajoutons que la plupart ont eu et entretenu des contacts avec l'occultisme, que ce soit par le biais des esprits malins, des fétiches, voire même des sorciers, etc. Il est important d'encourager la pratique de la renonciation publique aux liens entretenus avec l'occulte, ainsi que la destruction de tous les objets ayant rapport avec ces pratiques (Ac 19.18-20). Ce pas de foi dans leur protection par Christ et dans l'obéissance à sa Parole permettra à Dieu de manifester sa puissance.


Pierre-Joseph Laurent souligne un aspect particulier que revêt la conversion chez les Mossi au Burkina Faso. Il pointe du doigt l'importance prise par les Assemblées de Dieu qui incarnent parmi les villageois une certaine idée de la modernité. La conversion permet, par rapport à l'entourage villageois ancestral, une mise à distance favorable au développement, ainsi qu'un refuge contre les entreprises malfaisantes des milieux lignagers jaloux qui utilisent fétiches et maléfices contre l'enrichissement des uns et la réussite des autres. Les ADD offrent également une échappatoire à la coutume ancestrale du mariage forcé, en offrant aux jeunes filles la possibilité de se sauver et se mettre sous la protection du pasteur qui, une fois qu'elle sera convertie, et dans le cadre d'un mariage par consentement mutuel, la mariera à un chrétien. Hélas, la plupart de ces nouveaux-venus ne sont convertis que de « bouche », et il faudra une crise particulière ou un problème avéré pour qu'ils prennent enfin conscience du danger et se convertissent de « coeur » cette fois. Toutefois, on ne peut que se féliciter de l'instauration par les ADD de cette nouvelle stratégie matrimoniale qui engage sa responsabilité, mais qui impose la monogamie, et qui insiste sur l'indissolubilité du mariage et la fidélité. D'autre part, notons que pour les jeunes, l'Église représente avant tout un espace de liberté au sein duquel ils espèrent se distancier de l'holisme du village.


L'autre erreur est la présentation d'un christianisme facile qui en fait le tue, car elle ne présente que les attraits. Il y a un réel danger à prêcher un Jésus populaire aux non-croyants, à présenter qu'un seul côté de la vie chrétienne, c'est-à-dire la joie du salut. J. I. Packer fait remarquer :

"Au cours du siècle dernier, l'on a imperceptiblement échangé l'Évangile biblique contre un produit de substitution, suffisamment semblable dans les points de détail, mais résolument différent dans sa totalité. Nos problèmes viennent de là, car cet article de substitution de répond pas aux buts pour lesquels le message de la Bible s'est révélé autrefois si puissant. Ce nouvel "évangile" est manifestement incapable de faire naître, avec la qualité voulue, une humilité, une repentance et un respect profonds, ainsi qu'un vrai esprit d'adoration et un intérêt pour l'Église."


James Stewart souligne les propos de A. J. Gordon dans un sermon sur les "répulsions du christianisme" :

"Nous nous attardons trop sur les attraits du christianisme. . . .Si l'Église de Christ attire à elle ce qu'elle ne peut pas assimiler, sa vie est en danger immédiat : le corps de Christ doit être uni, même si cela le met en guerre avec le monde. Sa pureté et sa puissance dépendent de son unité. Alors, si par hasard l'Église attire des hommes sans les transformer, si elle accepte des membres qui ne s'assimilent pas à sa vie, elle s'affaiblit par son accroissement et elle diminue dans son augmentation."


Gordon souligne deux paradoxes qui frappent aujourd'hui l'Église au Burkina Faso et ailleurs : l'affaiblissement dans la croissance, et la diminution dans l'augmentation. James Stewart précise que :

"Dans notre désir de toucher les gens du monde, nous avons donné l'impression que l'Évangile est un message humoristique et frivole. Il y a trop d'hilarité dans nos réunions et pas assez de pleurs. Dans notre zèle pour dire au monde que Christ satisfait, nous sommes allés à l'extrême en présentant un christianisme populaire. Si nous rions au début d'une réunion et que nous devenons sérieux vers la fin, pour avertir les non-croyants du péril qu'ils courent, il leur est difficile de comprendre que nous sommes sincères. Nous ne sommes pas sauvés pour passer un bon moment. Nous sommes sauvés pour sacrifier, souffrir et servir. (cf Mc 8.34, Mt 8.20, Hé 13.13)"

Et d'ajouter :

"Parmi les non croyants, notre prédication produit peu d'appréciation réelle pour le Seigneur Jésus et sa Parole. Il y a trop de chants et trop peu de la Parole de Dieu dans nos réunions. Notre jeunesse connaît beaucoup de chants, mais ignore les chapitres de la Bible. Un signe des derniers jours est le manque de profondeur de la spiritualité et la profondeur de notre ignorance quant aux choses de Dieu."


Les réunions (ou campagnes) d'évangélisation laissent souvent un goût amer à ceux qui ont à coeur la dignité et la sainteté de Dieu. À l'évangélisation « décibel » avec des chants dont la sonorité porte à plusieurs kilomètres, on peut ajouter les danses, ainsi que parfois un habillement suggestif, voire indécent de certaines soeurs qui se trémoussent pour se faire remarquer, mais qui apportent une connotation mondaine à un message qui se veut très sérieux, puisqu'il s'agit ni plus ni moins que de la mort ou de la vie de ceux qui viennent écouter. Ce constat concerne de nombreux pays, notamment ceux où l'Église en est à la troisième ou quatrième génération. La jeunesse s'ennuie et, pour l'empêcher d'aller trouver dans le monde les divertissements dont elle a besoin, l'église est souvent amenée à lui procurer une copie de ce qu'elle pourrait trouver dans le monde. Dans ce contexte, l'Église est confrontée au problème grandissant d'une évangélisation sainte destinée à porter des fruits saints afin de construire l'oeuvre de Dieu. Le bruit, la musique, le rythme, la danse, le nombre, attirent de nombreux jeunes qui se déclarent prêts à suivre le Seigneur, sans même mesurer ce que cela signifie. Les pasteurs font éloge de chiffres impressionnants de soi-disant « conversions », qui ne sont en réalité que des décisions de venir à l'église, quand elles sont suivies de fait.


L'Église du Burkina Faso n'est pas exempte de ce sujet de préoccupation. Elle doit rapidement affronter ce problème de fausses conversions. Car, comment parler de conversion quand il n'y a pas de conviction de péché, pas de besoin d'un sauveur, ni de véritable repentance ? En conséquence, même si les prétendues conversions sont suivies de baptême d'eau, il n'y a pas de régénération, et donc pas de baptême du Saint-Esprit. Ici se retrouvent les paradoxes de Gordon : l'affaiblissement dans la croissance, et la diminution dans l'augmentation. En fait, l'église devient une église de multitude et perd de sa puissance puisque celui qui est à son origine, Jésus-Christ, est absent de son sanctuaire.


Les nombreux témoignages pastoraux recueillis à ce sujet, semblent démontrer qu'il s'agit en fait d'une stratégie d'évangélisation. On attire le plus de monde possible, sous toutes sortes de prétexte ; on en fait des chrétiens en les baptisant d'eau, et on les enseigne en espérant qu'un jour, ils se convertissent vraiment. En attendant, on leur apprend les bases du christianisme : « tu dois et tu ne dois pas », les ramenant ainsi dans une sorte de légalisme, qui devient comme une prison dorée, dont ils auront beaucoup de mal à sortir pour goûter la vraie liberté en Christ. C'est ici une des causes des nombreuses chutes morales et autres, auxquelles l'Église doit faire face aujourd'hui. Elles détruisent la puissance et la crédibilité de l'Évangile et entachent le témoignage chrétien dans ce monde. Hélas, ce fait touche aussi le pastorat et le diaconat, produisant des bouleversements encore plus grands, mais qui sont pourtant souvent traités à la légère et avec beaucoup de laxisme par les plus hauts responsables, amoindrissant ainsi la gravité du péché aux yeux de l'Église et du monde.


De vraies conversions, de vraies repentances, des nouvelles naissances, des régénérations spirituelles, puis la pratique équilibrée de la vie chrétienne, la croissance spirituelle authentique, voilà ce qui est nécessaire à l'Eglise pour sa croissance et pour en faire l'édifice de Dieu. Nous oublions trop souvent que le pécheur perdu, jadis étranger à la vie de Dieu, doit naître d'en haut, doit être régénéré, pour pouvoir désormais vivre en enfant de Dieu, habité par le Saint-Esprit. C'est ainsi que son salut devient un fait accompli et que sa sanctification devient un processus constant et progressif. Jean écrit : « Quiconque est né de Dieu ne pratique pas le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui ; il ne peut pécher, parce qu'il est né de Dieu. » Ici le verbe grec est au présent de l'indicatif et dénote une action continue. Jean ne veut pas dire qu'il soit impossible de commettre un péché. Il veut dire qu'un chrétien ne peut pas supporter de demeurer dans le péché. Le péché doit l'écoeurer à un point tel qu'il ne peut supporter de vivre ainsi et sa seule alternative est de se jeter aux pieds de la croix et de se repentir sincèrement. Être né de nouveau, veut dire que Christ est le centre de notre vie, que la puissance sanctifiante du Saint-Esprit est en nous, et qu'un péché apporte un tel chagrin qu'y demeurer doit être insupportable. Voilà les chrétiens qu'il faut à l'Église. C'est la seule alternative. Malheureusement, l'Église est aujourd'hui pauvre en êtres régénérés et spirituels, tant au niveau pastoral qu'au niveau des fidèles. Les messages de victoire sont là, mais lorsqu'on analyse profondément la vie des membres, il y a peu de différence avec le mode de vie des gens du monde. On trouve, entre autres, adultères, divorces, homosexualité, abus sexuels de tous genres, commérages, manques de pardon, querelles, jalousies, colères, dissensions, syncrétisme, occultisme, etc. qui dominent aussi bien l'église que le monde. Presque chaque pasteur ou responsable d'église à qui vous parlez en privé admet qu'au fond de lui il sait que quelque chose va désespérément de travers. Mais il sera difficile de le lui faire admettre publiquement. Pendant ce temps, la roue tourne et le déclin va de plus en plus profond.

William Luj

214 vues
bottom of page