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LE CHRÉTIEN CHARNEL ?



J’enseignais autrefois au personnel et aux bénévoles d’un important ministère de la jeunesse. À cette époque, ces jeunes évangélistes utilisaient parfois une expression particulière, que l’on ne trouve pas dans les pages des livres savants de théologie systématique : « le zapping ». J’ai entendu cette expression pour la première fois lorsqu’un membre du personnel est venu me demander : « Dr Sproul, pourquoi tant de nos jeunes zappent-ils la foi ? » Je n’avais aucune idée de ce que signifiait ce mot. Mais il m’a expliqué qu’ils avaient souvent des jeunes qui étaient initiés au ministère, commençaient à assister avec enthousiasme à leurs programmes, faisaient une profession de foi en Christ, et qui, au bout d’un certain temps, zappaient, c’est-à-dire qu’ils passaient à autre chose.


Une personne peut donc se lever et faire une profession de foi, ou avancer dans l’allée lors d’une réunion d’évangélisation pour toutes sortes de raisons, sans s’être véritablement convertie. Nous n’avons pas la capacité de lire dans le cœur des gens. Nous ne savons pas si leurs professions de foi sont sincères et authentiques.

Nous travaillons en nous fiant à des manifestations et des preuves extérieures, mais nous ne pouvons pas savoir avec certitude ce qui se passe dans leur cœur.

Il suffit de prendre l’exemple de Judas. Il a fait partie du cercle intime de Jésus et a été le témoin oculaire de certains des actes les plus merveilleux jamais réalisés par Jésus. Il est littéralement allé au « séminaire » de Jésus. Il a assisté à ses enseignements tous les jours pendant trois ans. Il s’est vu confier le rôle de trésorier de l’organisation. Et pourtant, Judas l’a zappé (et c’est là un euphémisme monumental). Jésus parle de Judas comme de quelqu’un qui était en réalité le fils de la perdition, un inconverti de la première heure (voir Jn 17.12). La profession de foi de Judas était fausse. Elle n’était pas authentique.


Ce problème ne concerne pas seulement les ministères de l’évangélisation et de la jeunesse. Il est propre à la vie de l’Église en général. Par conséquent, nous devons faire attention à ce que nous disons. Nous pouvons affirmer que quelqu’un a fait une profession de foi, mais nous ne sommes pas en mesure de confirmer si cette personne s’est vraiment convertie.


Cette réalité se rapproche d’un autre concept, d’une doctrine novatrice émergente dans le christianisme populaire : la notion de « chrétien charnel ».


Historiquement, cette notion a émergé de la théologie du dispensationalisme. Elle a fait irruption dans les années 1980 lors de la controverse sur le « salut par la seigneurie », un débat interne entre dispensationalistes. L’une des parties insistait sur le fait que c’est la foi seule – et non la foi et la repentance – qui sauve ; dans ce cas de figure, il est possible de recevoir Christ comme Sauveur, mais pas comme Seigneur. L’autre camp soutenait que la foi et la repentance sont les deux faces d’une même pièce.


Les deux parties étaient d’accord sur le fait que chaque personne qui vient à la foi devrait mettre sa confiance en Christ en tant que Sauveur et Seigneur, et chaque croyant devrait produire le fruit de la conversion et des œuvres d’obéissance à Christ. La question portait sur la possibilité ou non d’être sauvé sans accepter Christ comme Seigneur et, par conséquent, sans faire preuve d’obéissance dans les actes. Quiconque est sauvé sans accepter Christ comme Seigneur est ce que nous pourrions appeler un « chrétien charnel ».


Cette controverse a donné lieu à une distinction entre différents types de chrétiens. Ces catégories sont illustrées dans un tract d’évangélisation populaire utilisé depuis de nombreuses années par l’organisation Cru (également connue sous le nom de Campus pour Christ). Les trois types distincts sont définis graphiquement sous la forme de trois cercles disposés en ligne, chaque cercle représentant un type particulier de personne. Au centre de chaque cercle se trouve la silhouette d’une chaise, qui représente le trône de la vie d’une personne, le siège de l’autorité.


Dans le premier cercle, à l’extrême gauche, se trouve sur la chaise la lettre S, qui signifie « soi ». Cette lettre symbolise l’égocentrisme de la personne non convertie. Celle-ci n’a pas reçu Christ, elle ne s’est pas soumise à Christ de quelque manière que ce soit. Et à l’extérieur du cercle se trouve la représentation de la croix, qui signifie que dans la vie de cette personne, le moi – ce que nous appelons « la chair » – domine. La nature humaine déchue est aux commandes, et Christ n’est pas dans la vie de cette personne.


Le troisième cercle, à l’extrême droite, présente Christ, la croix, sur le trône. C’est la vie remplie de l’Esprit. Jésus-Christ est l’autorité centrale dans la vie de cette personne. Il s’agit du chrétien mûr qui a évolué et qui a accepté Christ non seulement comme Sauveur, mais aussi comme Seigneur.


Le cercle du milieu représente une étrange petite image. La chaise est au milieu, avec le S pour « soi », mais sous la chaise, il y a la croix. Cette image représente une personne qui a Christ dans sa vie, mais qui ne l’a pas laissé monter sur le trône. Le moi siège toujours sur le trône ; la chair règne toujours. C’est pourquoi cette personne est décrite comme le chrétien charnel. Le chrétien charnel est une personne qui est chrétienne, mais dont la vie est encore dominée par la chair.

D’où vient cette idée, bibliquement parlant ? La justification biblique généralement apportée est que le Nouveau Testament parle explicitement de chrétiens charnels. Dans 1 Corinthiens 3, l’apôtre Paul réprimande les chrétiens de Corinthe, en leur disant : Pour moi, frères, ce n’est pas comme à des hommes spirituels que j’ai pu vous parler, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Christ. Je vous ai donné du lait, non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter ; et vous ne le pouvez pas même à présent, parce que vous êtes encore charnels. En effet, puisqu’il y a parmi vous de la jalousie et des disputes, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme ? Quand l’un dit : Moi, je suis de Paul ! et un autre : Moi, d’Apollos ! n’êtes-vous pas des hommes ? (1 Co 3.1‑4.)


Paul parle clairement de personnes qu’il considère comme des croyants. Il les appelle « frères », et pourtant il les décrit aussi comme étant « de la chair », c’est-à-dire charnels. Alors, qu’y a-t-il de mal à parler de « chrétiens charnels » ? Non seulement Paul décrit les croyants de Corinthe comme charnels dans ce cas-là, mais il se réfère également à lui-même comme étant « de la chair » dans Romains 7, lorsqu’il partage ses propres luttes par rapport à la sanctification : « Je suis charnel, vendu au péché » (v. 14). Tout cela semble suggérer que le terme « chrétien charnel » pourrait être un moyen pertinent, et bibliquement correct, de désigner un certain type de chrétien.


Le descriptif « charnel » ou « de la chair » apparaît régulièrement dans le Nouveau Testament. Nous avons vu précédemment que Paul parle du combat de la vie chrétienne comme d’une guerre entre la chair et l’esprit. Et nous savons aussi que cette même métaphore de la chair est utilisée à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament pour décrire la condition de l’incroyant. L’incroyant est purement charnel. C’est pourquoi Jésus dit qu’il faut naître de nouveau pour voir le royaume de Dieu, car ce qui est né de la chair est chair, et nous sommes par nature charnels ou déchus. La personne non régénérée n’est pas engagée dans une guerre entre l’esprit et la chair ; elle est totalement dans la chair, totalement charnelle.


À la lumière de ces distinctions, nous pourrions supposer que dans l’image de la brochure, l’idée n’est pas que la personne est encore uniquement dans la chair, puisque Christ est dans sa vie. Au contraire, il s’agit plutôt de communiquer qu’il y a trois types de personnes : les non-croyants, les jeunes croyants et les croyants matures. C’est une distinction parfaitement légitime, car Paul la fait lui-même dans 1 Corinthiens lorsqu’il dit des chrétiens de Corinthe qu’ils sont « de la chair ». Il les appelle ainsi parce qu’ils sont encore des bébés spirituels et parce que leur comportement montre davantage la manifestation continue de la chair que la maturité qui vient du fruit de l’Esprit.


Mais l’idée véhiculée par le Nouveau Testament est que personne dans cette vie n’est pleinement spirituel et qu’aucun chrétien dans ce monde n’est totalement charnel. Ainsi, lorsque nous parlons de chrétiens charnels, si par ce terme nous désignons les jeunes chrétiens, alors il n’y a pas de problème. Mais si nous voulons parler de personnes qui ont reçu Christ comme leur Sauveur, mais pas comme leur Seigneur, chez qui le « moi » domine encore et régit la vie, qui décrivons-nous ? Nous décrivons la personne non convertie, la personne qui est dans l’Église et bénéficie de la communion de Christ, la personne qui professe Jésus-Christ, mais qui n’est pas du tout chrétienne. La notion de chrétien charnel pour désigner une personne totalement charnelle est un oxymore. Il n’existe pas de chrétien totalement charnel, tout comme il n’y a pas de chrétien pleinement spirituel.


J’aimerais pouvoir trouver un moyen facile de passer de l’enfance dans la foi à l’âge adulte. L’apôtre Paul parle de notre besoin d’être nourris et entretenus. Il utilise également l’image de nourrissons qui ont besoin d’un régime lacté, parce qu’ils ne sont pas encore prêts à manger de la nourriture solide.


Il faut du temps pour atteindre la maturité spirituelle. Mais ce qui est effrayant, c’est de croiser des personnes qui sont dans la foi depuis dix ou quinze ans et qui boivent toujours du lait. C’est ce qui afflige l’apôtre dans sa lettre aux Corinthiens. Le temps de leur enfance est depuis longtemps révolu, c’est pourquoi il les appelle à suivre un régime solide d’aliments divins et à mâcher la viande de l’Évangile. C’est la suite logique d’une vie de persévérance en Christ.


R.C. SPROUL

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