Nous sommes de plus en plus en souci par rapport aux théories du complot, et toutes les thèses conspirationnistes qui verraient des enjeux cachés, des explications secrètes guidées par des groupes œuvrant dans l’obscurité. Bien qu’il y ait toujours eu de telles théories, nous avons facilement l’impression que les théories du complot ont le vent en poupe, ou même qu’il y en a de plus en plus. Je ne sais pas, mais il est vrai que l’impression est forte : les complots sont partout. La question se pose alors pour les responsables des Églises : que dire aux croyants ? Que répondre à un chrétien qui « tombe » dans l’une de ces théories en vogue ?
Une question de témoignage
Tout d’abord, il faut résister à la tendance de trop rapidement critiquer nos frères et sœurs qui auraient adhéré à l’une ou l’autre des nombreuses théories actuelles… et il y en a trop pour faire le compte ici. Je sais que c’est contre-intuitif. Nous dirions naturellement l’inverse : nous devons résister à l’attrait des théories complotistes. C’est ce que la plupart des blogs, podcasts, chrétiens ou non, disent actuellement. Je comprends bien sûr pourquoi, et avec raison. Mais il y a aussi une réaction inverse, et tout aussi nécessaire : résister à la critique trop facile. Nous pourrions être tentés de dire par exemple que toute théorie du complot tient de la diffamation et du mensonge. De par sa nature même une théorie complotiste est improuvable, et donc arbitraire. Elle serait alors de l’ordre du faux témoignage, une attitude incompatible avec la vertu chrétienne. Bien sûr nous devons poser cette question de la vertu chrétienne, et prendre garde à la portée de nos paroles. Cependant, nous ne pouvons pas être naïfs au point de penser que tout ce qui est « improuvable » est ainsi diffamatoire. Dans notre critique du « complotisme », nous ne devons pas aller trop loin, procéder avec sagesse et prudence, parce que nous voulons prendre soin les uns des autres.
Le guide de notre attitude ne doit ainsi pas la condescendance, ni le rejet, ni le ridicule. Ce sont malheureusement des réactions fréquentes que j’ai lues sous le clavier de pasteurs et théologiens en réaction au complotisme. « Chacun son poison, et bonjour chez vous »… une réaction vive lue en ligne. Frustration, presque condamnation. Ceux qui « croient à » une théorie complotiste sont parfois peints comme n’étant pas vraiment… disons, normaux. Ils ont un problème. Une fois encore, je comprends bien cela… mais je ne crois pas que c’est ainsi que nous montrerons que la vie communautaire de l’Eglise, Corps de Christ, est essentiellementdifférente. L’attitude que nous avons envers nos frères et sœurs en Christ dit quelque chose de notre foi. Et peut-être qu’en ce moment, elle dit que nous ne sommes pas si différents du reste de la société. Nos réactions face au complotisme est donc bien une question de témoignage chrétien. Mais cela va dans deux directions : le témoignage chrétien parfois compromis par une trop grande fascination par les théories complotistes, mais aussi un témoignage chrétien parfois compromis par notre critique trop vive de nos frères et sœurs.
Théorie du complot… ou bien ?
Quelle que soit la théorie complotiste entendue dans nos Églises, nous devons avoir la même attitude demandée par notre foi : une parole de douceur, d’empathie, de paix, même si elle peut aussi guider vers la sagesse et la vérité. Ainsi guidés, nous devons accompagner, plutôt que d’immédiatement juger, discerner plutôt que de simplement reprendre.
D’ailleurs le discernement est l’attitude la plus déterminante à avoir face à une théorie du complot… et d’ailleurs, en est-ce bien une ? C’est peut-être la première question à poser. Lorsque nous nous disons « Attention là Yannick il est en pleine théorie du complot », posons-nous la question : s’agit-il d’une théorie du complot, ou d’une simple explication alternative dont il est question. Le « on ne nous dit pas tout » n’est pas nécessairement un signe complotiste. C’est simplement une attitude de soupçon, parfois cynique, parfois prudent, qui n’imagine pas que l’information soit toujours transparente. Le complotisme serait de dire que l’information (et les médias) a toujours un objectif de contrôle dans la main secrète d’un groupe occulte.
En même temps, Le monde dans lequel nous vivons est complexe, mêlant des facteurs divers et des enjeux conflictuels. Le monde dans lequel nous vivons est aussi un monde de pouvoir et de lutte. Des complots, il y en a bien eu dans l’histoire, il serait difficile de le nier. Il n’est pas pour autant question de voir des complots partout. Ce serait bien facile ! C’est là que le complotisme peut révéler une tendance à laquelle nous devons prendre garde, puisqu’il s’agit d’un enjeu spirituel. Souvent les explications complotistes veulent trouver une explication à tout. Des faits apparemment sans rapport ont une relation de cause à effet. Tout dans le monde doit pouvoir être explicable par une théorie unifiante : le gouvernement mondial, ou le complexe pharmaceutique, etc. Le danger ici, ce serait de prétendre que nous pouvons tout comprendre. Le danger c’est de croire que nous pouvons lire l’histoire du monde que pourtant seul Dieu connaît !
Le monde n’est pas ce qu’il est
La théorie du complot est en grande partie motivée par la conviction que le monde n’est pas ce qu’il est. Cela caractérise aussi la vie des pèlerins que nous sommes : le monde n’est pas ce qu’il semble. Mais cela ne conduit pas à la même attitude et nous ne tombons pas pour autant dans l’explication complotiste. Le monde n’est pas ce qu’il est. C’est vrai. Notre vocation est alors de continuer à y vivre en pèlerins de Christ : attentifs au monde dans lequel nous vivons, mais vivant d’un autre royaume. Ce qui doit nous caractériser, ce n’est pas d’abord le rejet des théories du complot. C’est d’abord être des artisans de paix, d’amour et de compassion, être des instruments entre les mains d’un Dieu de libération et de réconciliation. C’est manifester la sagesse et la maîtrise de soi. En ces temps anti-complotistes, ne perdons pas de vue que notre vocation est de vivre les vertus de Christ, les vertus du royaume.
Yannick Imbert
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